Desliens sociaux à la cohésion sociale Niveaux de santé, de bien-être et de cohésion sociale des populations Contrastes et inégalités entre territoires, entres groupes sociaux et à l’international État de santé : une articulation de déterminants Diversités des déterminants Interactions des déterminants : modèles explicatifs Problématiques sociales et reconnaissance des Enl’espèce, il s’agit, à partir d’un questionnement sur la construction des inégalités de santé liées à l’exposition à des polluants, de comprendre comment la connaissance des déterminants de santé participe à la mise en place de solutions pour réduire les inégalités environnementales de santé. Ainsi, les élèves seront Lacohésion sociale est définie le plus souvent comme étant la nature et l’intensité des relations sociales qui existent entre les membres d’une société ou d’une organisation (source : Wikipédia). Un peu d’histoire : selon les Dansune logique « sociale-démocrate », on soutiendra que les inégalités sociales nuisent à la cohésion sociale, alors que celle-ci est, à moyen terme, la condition d’une croissance élevée. 18 Sur le plan des faits, la relation la plus fameuse contrela cohésion sociale. Cohésion sociale et droits humains On voit ici comment la cohésion sociale est intiment liée à la notion de droits humains. La cohésion sociale existe si les membres de la société se sentent respectés, reconnus. Et cette reconnaissance passe par le respect des droits de chacun. Se sent-on membre Parceque les ruptures d’égalité sont perçues comme des mécaniques profondément injustes, elles minent la cohésion sociale – et ce à grande échelle. Les discriminations n’ont rien de marginal : les J2aXF. Le tour de la question 15 octobre 2020 Handicap et inégalités les principales donnéesLes statistiques sur les inégalités subies par les personnes handicapées sont rares. Elles montrent une situation qui leur est très défavorable, que ce soit en termes de niveau de vie, d’éducation, d’emploi ou de participation à la vie sociale. Le tour de la question par Gérard Bouvier, de l’Insee. ... Revenus et patrimoine Emploi Conditions de vie Le tour de la question 11 janvier 2018 Les inégalités entre les femmes et les hommes en EuropeLes inégalités entre les femmes et les hommes se réduisent en Europe, mais l’égalité est encore loin d’être atteinte dans de nombreux domaines, et les situations sont très contrastées d’un pays à l’autre. Certains sujets, comme la santé ou l’éducation, avantagent toutefois les femmes. Le tour de la ... Europe Le tour de la question 16 juillet 2014 Qui sont donc les classes moyennes ?Les classes moyennes occupent le débat public. Mais de qui parle-t-on exactement ? Quelques éléments pour tenter d’y voir plus clair. Par Valérie Schneider et Louis Maurin de l’Observatoire des inégalités. Revenus et patrimoine Catégories sociales Le tour de la question 11 mars 2014 La situation des zones urbaines sensiblesDes écarts énormes existent entre les Zones urbaines sensibles et le reste du territoire des agglomérations où elles se situent. La situation de l’emploi y est particulièrement difficile. Les niveaux de vie de ces quartiers sont très inférieurs à la moyenne. Le tour de la question par Louis Maurin, ... Territoires Le tour de la question 3 juillet 2013 Vacances des jeunes, les écarts s’accroissent Si les vacances se sont démocratisées ces cinquante dernières années, un quart des jeunes de moins de 19 ans n’ont pas la possibilité de partir de leur domicile pendant les congés. Les écarts s’accroissent même entre les catégories sociales. Le tour de la question par l’Observatoire des ... Conditions de vie Catégories sociales Ages et générations Le tour de la question 19 mars 2012 La pauvreté en Europe état des lieux16,4 % de la population européenne est pauvre. Suivant le pays, l’âge, le sexe ou encore l’origine, les taux de pauvreté varient considérablement… Europe Le tour de la question 20 septembre 2011 Comment vivent les Européens ?C’est en Europe qu’il fait le mieux vivre au monde. Mais de grandes disparités existent entre les pays du continent. Conditions de vie Le tour de la question 7 juillet 2011 Les vacances les inégalités persistentPrès de la moitié des Français ne partent pas en vacances. Les catégories les plus aisées partent davantage et plus souvent. Conditions de vie Le tour de la question 15 mars 2011 Inégalités que peuvent faire les départements ?Les élections cantonales ont lieu les 20 et 27 mars prochains. Enjeu la gestion des 101 départements français qui ont un rôle important à jouer dans le domaine de la réduction des inégalités. Les explications de Valérie Schneider et Louis Maurin, de l’Observatoire des ... Territoires Le tour de la question 21 décembre 2010 Comment se construisent les inégalités sociales de santé ? Comment expliquer qu’un cadre à 35 ans ait une espérance de vie de 46 ans, alors qu’un ouvrier du même âge ne dispose que de 39 années à vivre en moyenne ? Le tour de la question des inégalités sociales de santé, par Pierre Volovitch de l’Observatoire des ... Conditions de vie 1 Une première version de ce texte a été présentée pendant l’Université d’été Penser les inégalités... 1Pour penser les inégalités » 1, il faut tenir compte de leur dimension spatiale. Selon Henri Lefebvre 1968, la ville est la projection au sol des rapports sociaux » ; les inégalités sociales ont nécessairement une traduction spatiale. Mais la notion mathématique de projection a un caractère mécanique et simplificateur la représentation sur un plan d’un objet dans l’espace simplifie ou réduit l’objet et elle dépend des positions respectives de l’objet projeté et du plan. Dans la métaphore de la projection au sol des rapports sociaux, le spatial prime sur le social, mais leur relation est dialectique, avec des effets en retour Blanc, 2007. 2La mixité sociale est une politique consensuelle qui vise à réduire les inégalités sociales en intervenant sur l’espace. Ce texte a deux objectifs en s’inspirant de Georg Simmel, montrer comment la mixité sociale est prise dans des contradictions et produit des effets pervers. Ensuite, esquisser comment le paradigme de la transaction sociale permet une conceptualisation plus satisfaisante de la mixité sociale et ouvre des pistes pour le dépassement de ses contradictions internes. La mixité sociale au cœur du conflit entre la liberté et l’égalité 3En France, une représentation sociale communément admise voudrait que la cohésion de la société soit un objectif majeur une société sans cohésion et sans solidarité est une société qui se délite et qui risque de disparaître. Pour cela, il faudrait que l’État lutte contre les tendances à la séparation, en premier lieu contre la ségrégation. L’enjeu de cette lutte serait une société mixte », dans laquelle les individus seraient égaux et libres de se déplacer en tout lieu. Cette représentation est contradictoire avec une seconde, communément admise elle aussi, qui dénonce les méfaits de l’État-Providence la sécurité sociale et l’ensemble de la protection sociale auraient des effets pervers ; les individus deviendraient des assistés sociaux » et ils attendraient tout de l’État, au lieu de chercher à se sortir d’affaire par eux-mêmes. On voit bien aujourd’hui comment, malgré les efforts du président Barack Obama, les USA sont englués dans une défense obsessionnelle de la liberté contre le trop d’État » et contre l’égalitarisme », dénoncé comme la non reconnaissance des mérites individuels. Ces deux représentations s’opposent, même si elles peuvent être présentes dans le même discours. La première donne la priorité à une valeur fondamentale, l’égalité ; la seconde met en avant une valeur tout aussi fondamentale, la liberté. La liberté inclut notamment la possibilité de vivre entouré de ses proches. Le débat sur la mixité prend sens dans le cadre de ce conflit de valeurs. Alexis de Tocqueville [1993 [1835], puis Georg Simmel, ont montré que le conflit entre l’égalité et la liberté est un conflit irréductible L’antinomie profonde entre la liberté et l’égalité […] ne peut se résoudre que […] dans la négativité de l’absence de possession et de l’absence de puissance […]. Ce fut peut-être parce qu’instinctivement on a saisi la difficulté de cet état de choses qu’on a joint à la liberté et à l’égalité une troisième exigence, celle de la fraternité » Simmel, [1907] 1981, pp. 144-145. 4Il faut d’abord lever les ambiguïtés et clarifier les notions de ségrégation et de mixité, en distinguant leur dimension spatiale et leur dimension sociale, ainsi que leur caractère imposé ou voulu. Il sera alors possible d’analyser les formes prises par la mixité et la ségrégation dans les registres fondamentaux de l’anthropologie et de la sociologie le sexe, l’âge, l’ethnicité et la classe sociale. Ces relations sont faites à la fois d’opposition irréductible et de complémentarité, ce qui explique de multiples traductions spatiales. Le couple de la mixité et de la ségrégation 5Mixité et ségrégation sont deux pôles opposés, mais de quoi ? Analytiquement, il faut dissocier la dimension sociale et la dimension spatiale des processus de ségrégation et de mixité ces deux dimensions se recouvrent, mais en partie seulement. Contrairement au présupposé implicite de la mixité sociale, le rapprochement physique ou spatial n’implique pas automatiquement un développement des échanges sociaux. Dans La Société de Cour, Norbert Elias 2008 [1939] notait que les domestiques au service du Roi sont très proches de lui physiquement, mais très éloignés socialement. S’il y a un certain côtoiement des classes sociales à la Cour, ce n’est ni de la cohabitation, ni de la mixité sociale. La dimension spatiale ne se limite pas à la dimension résidentielle, mais cette dernière occupe une place importante. Les conflits entre bons » et mauvais » voisins sont fréquents et ils invitent à marquer la distance plutôt qu’à rechercher le rapprochement. C’est pourquoi la fameuse opposition proximité spatiale et distance sociale » a connu un grand succès. Elle ne se limite pas aux grands ensembles dans lesquels elle a été observée en premier Chamborédon & Lemaire, 1970. 6La cohabitation forcée de groupes qui ne la souhaitent pas conduit habituellement à l’évitement et à l’exacerbation des conflits de voisinage. Ceci introduit une seconde distinction analytique, selon le caractère imposé ou choisi de la ségrégation et de la mixité. La ségrégation a une connotation très négative car elle est spontanément perçue comme imposée à ceux qui la subissent. Elle peut être inscrite dans la loi qui réserve un espace, le ghetto, à l’usage exclusif d’un groupe ethnique et/ou religieux. Elle est plus souvent le résultat d’un ensemble de règles non écrites, à commencer par la loi d’airain du marché qui répartit riches et pauvres dans l’espace en fonction du prix du foncier. Il y a aussi une ségrégation voulue, mais rarement perçue comme telle. Qui se ressemble s’assemble », dit le proverbe. On se rapproche de ceux que l’on connaît et avec qui on a des affinités le même métier, les mêmes loisirs, une origine commune, etc. Pour se regrouper entre soi, on s’éloigne nécessairement des autres, même s’il n’y a aucune hostilité envers eux. Le résultat est une ségrégation que Nicole Haumont 1996 appelle, en faisant un jeu de mots subtil, une agrégation ». 7Pour la France, le constat d’Éric Maurin 2004 est accablant du haut en bas de la pyramide sociale, la société s’organise selon ce qu’il appelle le séparatisme social », ou le ghetto les beaux quartiers » pour les riches Pinçon-Charlot, 2001, les quartiers stigmatisés pour les pauvres et les étrangers. Ségrégation subie et agrégation voulue sont les pôles extrêmes, mais elles se combinent dans de nombreux cas. Le ghetto a un caractère paradoxal ses habitants peuvent ressentir douloureusement qu’ils sont rejetés et assignés à résidence ; en même temps, ils peuvent trouver qu’ici au moins ils n’ont pas à supporter le regard désapprobateur et méprisant des classes supérieures Lapeyronie, 2008. La mixité sociale imposée produit des cohabitations conflictuelles Enforced desegregation is no better than enforced segregation » Edgar et al., 2004. Les formes et les limites de la mixité sociale 8Il sera peu question ici de la mixité des fonctions urbaines. Dans La Charte d’Athènes, Le Corbusier 1971 [1942] préconisait la séparation des fonctions habiter, travailler, se recréer et circuler. La coupure entre l’espace de l’habitat et celui du travail se fonde sur un argumentaire hygiéniste les ouvriers ont droit à l’air pur et au soleil, loin des pollutions industrielles. En même temps, Le Corbusier voyait dans l’urbaniste l’accoucheur » de la société moderne. Les grands ensembles voulaient être des cités radieuses » et des foyers de convivialité. Le Corbusier était partisan à la fois de la spécialisation des espaces donc d’une forme de ségrégation spatiale et de la mixité sociale. Il était convaincu qu’un bon urbanisme permettrait de faire l’économie d’une révolution Le Corbusier, 2008 [1923]. Une forme urbaine judicieusement choisie aurait des effets positifs sur les relations de voisinage, permettant le développement d’une communauté harmonieuse. L’espace influence les relations sociales, positivement ou négativement. Mais la forme urbaine n’a pas d’influence mécanique sur les pratiques des habitants et il est risqué de faire d’elle un levier de l’ingénierie sociale. Le mélange des sexes 2 Pascale Kremer et Martine Laronche, La condition des jeunes filles s’est dégradée dans les quarti ... 9C’est une dimension essentielle, qui illustre la double face de la mixité sociale. C’est d’abord à l’école qu’il faut poser la question de la mixité des sexes. Ma génération a encore connu des écoles et des lycées de garçons, distincts de ceux des filles. Aujourd’hui, cette mixité dès le plus jeune âge est un grand progrès pour tout le monde. C’est en côtoyant réellement l’autre sexe et non de façon imaginaire et fantasmée, que l’on s’apprivoise mutuellement, que l’on arrive à se connaître, à gérer ses différences et ses oppositions. Pourtant, au début des années 2000, des jeunes filles maghrébines se sont plaintes du machisme » de leurs frères, petits et grands, dans l’enceinte scolaire ; elles aspiraient à des lieux bien à elles. Là au moins, elles seraient à l’abri des violences et du harcèlement 2. À un autre niveau, de nombreux mouvements féministes réclament des lieux pour que les femmes puissent se réunir entre elles, de façon non mixte. Si des hommes sont présents, ils tendent à monopoliser la parole, même s’ils se déclarent féministes »… On ne peut affirmer que la mixité des sexes soit automatiquement un progrès ; tout dépend du contexte et il faut se demander si la mixité favorise l’émancipation des femmes ou si elle contribue à les maintenir, sous de nouvelles formes, dans la soumission. Le plus souvent, le refus de la mixité des sexes est le fait des conservateurs la nostalgie des écoles séparées est bien enracinée chez les intégristes religieux, chrétiens ou musulmans. 3 Jacques Isnard, Les femmes sont l’avenir de l’armée française », Le Monde, 10La mixité scolaire se prolonge par la mixité professionnelle, fortement encouragée par l’Union européenne qui a fait de l’égalité entre les hommes et les femmes une de ses priorités. La féminisation des professions traditionnellement réservées aux hommes a des effets positifs. Les connaisseurs de l’armée et de la police reconnaissent que la présence féminine fait obstacle à une culture machiste » qui permet encore bien des abus 3. En même temps, la guerre d’Irak a montré que, dans l’armée américaine, les femmes soldats pouvaient être aussi redoutables que les hommes en matière de torture. Éduquer ensemble filles et garçons, ouvrir toutes les professions aux femmes comme aux hommes, voilà des choix de société qui, sans nier la biologie, sont indépendants d’elle. La mixité des sexes est bien une forme de mixité sociale. Le mélange des générations 11La mixité des générations est une autre forme. Elle a des répercussions importantes sur l’aménagement des villes. Je me limite à deux exemples, les jeunes et les personnes âgées. Un certain nombre d’entre eux connaissent des formes de logement spécifique le foyer » du troisième âge ou du jeune travailleur, la cité » universitaire, etc. Cette séparation traditionnelle se fonde sur de bonnes raisons. Jeunes et vieux ont des modes de vie et des besoins différents, même si cette opposition est schématique et connaît de nombreuses exceptions. Les seconds aspirent au calme et ils ont besoin de soins adaptés. Les premiers ont besoin d’espaces pour faire du sport, de la musique, etc. En vivant ensemble, ils se gêneraient mutuellement. La séparation permet à chaque groupe de vivre comme il l’entend. 12Mais il ne faut pas négliger le revers de la médaille. Les personnes âgées extraites de leur milieu de vie et regroupées entre elles sont désorientées. Elles se sentent isolées et inutiles et, du coup, elles dépérissent rapidement. Le maintien à domicile, dans leur environnement familier et avec les adaptations nécessaires, est bien préférable. Mais il arrive un moment où les soins médicaux et autres deviennent trop lourds pour pouvoir s’effectuer à domicile. La maison de retraite médicalisée s’impose alors et la mixité des générations atteint une de ses limites. 13Pour les jeunes aussi, vivre entre soi présente à la fois des avantages et des inconvénients. Le logement des jeunes est très segmenté. Les étudiants sont dans des cités, les jeunes travailleurs dans des foyers. Jusqu’à une date récente, cités et foyers logeaient séparément hommes et femmes. Aujourd’hui, seule une ségrégation manifestement sociale est maintenue entre étudiants, destinés à devenir de futurs cadres même si leur avenir professionnel est incertain et jeunes ouvriers souvent au chômage. Sauf exception, ces jeunes, qui ne sont pas logés à la même enseigne, ne viennent pas des mêmes milieux sociaux. Ils n’ont ni les mêmes modes de vie, ni les mêmes perspectives d’avenir. Est-ce une raison pour vivre chacun de son côté et dans l’ignorance de l’autre ? C’est poser la question de la mixité proprement sociale et, en simplifiant, de la cohabitation entre riches et pauvres. Le mélange des classes sociales 14Il y a une multitude de critères de ressemblance le métier, la langue, la religion, la nationalité, la passion pour le sport, la musique ou l’alcool, etc. Le plus souvent, ces critères se combinent subtilement à l’intérieur des classes sociales. Pour donner un exemple caricatural, les enfants de la bourgeoisie sont nombreux à jouer au piano et au tennis et à boire du whisky. Par contre, les enfants des milieux populaires jouent au football et boivent de la bière, peut-être par goût, mais aussi parce que c’est moins cher. Même lorsque les participants le nient, la classe sociale, dont le niveau de ressources est un marqueur essentiel, joue un rôle important dans ces regroupements affinitaires Bourdieu, 1979. C’est notamment le cas dans le domaine du logement. Les habitants d’un même immeuble peuvent avoir entre eux de très grands écarts, en termes de modes de vie et de richesse, mais ils ont un point commun ils ont la capacité de payer le prix demandé. Sinon, ils seraient rapidement expulsés. Cette règle très simple joue dans le secteur libre, régi par les mécanismes du marché. Mais elle s’applique aussi dans le logement social, son mode de financement aboutissant à une correspondance assez étroite entre les immeubles et les niveaux de ressources voir ci-après. L’intégration des étrangers 15À certaines périodes de l’histoire, les Juifs ont été assignés à résidence dans des ghettos. Au sens propre, il n’y a plus guère de ghettos aujourd’hui, c’est-à-dire d’espaces à l’usage exclusif d’un groupe. On peut parler à la rigueur de ghettos de riches » Pinçon & Pinçon-Charlot, 2000 ; Maurin, 2004. Il continue à y avoir des ghettos », dans le sens peu rigoureux de concentrations d’étrangers, dans certains quartiers dévalorisés et stigmatisés, à Strasbourg, Paris, Londres, Chicago ou Johannesburg. En France, c’est le plus souvent dans les grands ensembles de logements sociaux en lointaine banlieue. En Grande-Bretagne et en Amérique du Nord, c’est surtout dans l’habitat dégradé du centre ville, avant le processus de gentrification. Dans les deux cas, c’est une forme de rejet des étrangers. Ils logent dans ce qui reste, quand les autres ont pris le meilleur Blanc, 2003. 16La mixité sociale est présentée comme une valeur républicaine » ce qui n’est jamais défini et comme la condition d’une bonne intégration des étrangers, devenant implicitement une mixité ethnico-sociale. L’argumentaire voudrait que les étrangers, restant entre eux, ne puissent s’intégrer dans le pays d’accueil. Cette volonté de brassage des populations étrangères part d’une bonne intention, mais aussi d’une grande ignorance un certain nombre d’étrangers souhaitent vivre avec des compatriotes et non au milieu d’une population dont ils ignorent la langue et la culture. Les disperser revient à les isoler et à renforcer leur marginalisation. La communauté ethnique n’est pas toujours un obstacle à l’intégration, elle peut au contraire jouer un rôle d’intermédiaire et de sas Blanc, 2004a. 4 Cité par Mathilde Mathieu, Un camping de Pornichet soupçonné de discrimination raciale », Le Mond ... 17Le discours médiatique sur l’étranger l’assimile implicitement à un pauvre. Sans coïncider totalement, le rejet de l’étranger et celui du pauvre vont ensemble. Le paradoxe est que le rejet du pauvre est admis, celui de l’étranger de moins en moins. Le propriétaire d’un camping soupçonné de discrimination raciale a eu, pour sa défense, cette phrase éloquente Je ne regarde que le porte-monnaie des clients et jamais la couleur de la peau » 4. Il serait coupable s’il avait refusé un client à cause de sa nationalité et/ou de ses origines. Il est innocent puisqu’il s’est légitimement inquiété de la solvabilité de son client. Personne ne s’offusque de cette discrimination par l’argent qui se pratique à grande échelle riches et pauvres ne vont pas dans les mêmes hôtels, restaurants ou cafés. Le dogme français de la mixité sociale 18Dans un grand nombre de pays, la réduction de la ségrégation est une préoccupation majeure de la planification urbaine. Mais les objectifs visés sont rarement atteints et les résultats obtenus s’avèrent décevants Bolt et al., 2010. Fruit d’une longue tradition centralisatrice et jacobine, la planification urbaine en France est orchestrée par le gouvernement central et il privilégie le recours à la loi dans la lutte contre la ségrégation. La loi relative à la Solidarité et au renouvellement urbain SRU de décembre 2000 fait de la mixité sociale une valeur cardinale. Elle a voulu renforcer et rendre plus contraignants les dispositifs de la loi d’orientation de la ville de 1991, dite anti-ghetto ». Elle a été à son tour complétée par la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine en août 2003 voir section ci-après. L’analyse de ces nouveaux dispositifs est source d’étonnement, faisant douter du réalisme de ces mesures section suivante. Les bilans réalisés au bout de dix ans montrent des résultats maigres et paradoxaux la mixité sociale reste un idéal bien lointain section d’après. L’empilement des lois 19Il y a toujours une part d’arbitraire dans la détermination du début d’une politique publique car la loi, ou le règlement, formalisent des réflexions engagées préalablement. Pour la mixité sociale en France, la loi d’Orientation pour la ville de 1991 marque une étape importante. À l’époque, elle a d’ailleurs été surnommée la loi anti-ghetto ». Elle affirme la nécessité d’empêcher la ségrégation ; les grands ensembles de logements sociaux dans les banlieues sont explicitement sa cible principale. Cette loi ne concerne que les agglomérations urbaines de plus de 200 000 habitants, elle veut généraliser l’usage des Programmes locaux de l’habitat dans la planification locale, etc. Comme beaucoup de lois d’orientation, celle-ci énonce des principes, tout en restant vague sur les mesures concrètes à mettre en œuvre. 5 Les chiffres varient selon les sources à partir des déclarations des résidents, les recensements ... 20En décembre 2000, la loi Solidarité et renouvellement urbain SRU réaffirme l’importance de la mixité sociale et elle met en place un dispositif plus contraignant. En sachant qu’à l’époque le logement social représentait 16 à 17 % du parc de logement de la France métropolitaine 5, cette loi concerne les agglomérations urbaines de plus de 50 000 habitants, à l’intérieur desquelles elle impose aux communes de plus de 1 500 habitants en Île-de-France plus de 3 500 ailleurs, d’atteindre en vingt ans donc d’ici 2020 un seuil minimum de 20 % de logements sociaux sur leur territoire ; 730 communes étaient concernées à l’époque. Elles ont été soumises à des engagements, évalués tous les trois ans, pour résorber progressivement leur déficit. Le Préfet est chargé de surveiller la bonne exécution de la loi SRU dans son Département ; il a la possibilité très peu utilisée d’infliger des amendes aux communes récalcitrantes. Économiquement et techniquement, cet objectif peut être considéré comme réaliste, mais ambitieux et nécessitant une volonté politique forte. 21En août 2003, la loi d’orientation et de programmation de la Ville et de la Rénovation urbaine est adoptée. Il faut noter qu’elle réintroduit l’expression de rénovation urbaine », qui était utilisée dans les années 1960 et qui a laissé de très mauvais souvenirs la rénovation était la destruction des immeubles déclarés insalubres dans les vieux quartiers centraux et la construction de nouveaux logements, pas forcément sur place et bien souvent à la périphérie Coing, 1966. La loi SRU a soigneusement évité cette expression, lui préférant celle, plus neutre, de renouvellement » urbain. 22La loi de 2003 a renoué avec la politique de la table rase », lançant un programme massif de rénovation-destruction, appelé Programme national de rénovation urbaine PNRU. 250 000 logements sociaux, principalement dans les banlieues, devaient être détruits en cinq ans. En principe, 250 000 logements de remplacement devaient être construits, mais en grande partie ailleurs, pour aboutir à une plus grande mixité sociale il fallait d’une part attirer les classes moyennes dans les quartiers stigmatisés pour changer leur image ; il fallait aussi disperser les locataires pauvres du logement social pour casser les ghettos », en reprenant le mot d’ordre du gouvernement d’union de la Gauche de Lionel Jospin Domergue, 2010, p. 33. Pour exécuter ce programme au double sens du terme, la loi a créé l’Agence nationale pour la rénovation urbaine ANRU, ce qui permet au gouvernement central de piloter les opérations et de contrôler les autorités locales, par le biais des financements. 232010 a été l’occasion d’un bilan à mi-parcours pour la loi SRU, qui se donne jusqu’à 2020 pour atteindre 20 % de logements sociaux partout. Puisque les deux sont intimement liés, c’est aussi l’occasion de faire le bilan du PNRU il aurait dû s’achever en 2008, mais il a été prolongé jusqu’en 2013, sous le sigle PNRU 2. Ce bilan est en demi-teinte. L’hostilité à la loi SRU a fortement baissé voir section suivante. Sur les 730 communes concernées, 325, soit 45 %, ne sont pas en règle avec la loi SRU. Pour se justifier, de nombreux maires mettent en avant les problèmes techniques et financiers, notamment le prix des terrains particulièrement en région parisienne et sur la Côte d’Azur ; ils affirment leur bonne foi et ils plaident pour un allongement des délais. 6 Laurence Boccara, Le bilan contrasté de la loi SRU », Les Échos, 7 Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, cité par Isabelle Rey-Lefebvre, ... 24Mais l’envolée du prix du foncier peut aussi servir d’alibi. Une poignée d’élus locaux préfère payer des pénalités que de construire du logement social. Les pénalités sont trop faibles pour être dissuasives Cette taxe, dont le calcul complexe fait passer le montant [de 152] à 324 euros, est prélevée par l’État sur les ressources fiscales de la commune, mais le dispositif coercitif n’a finalement jamais démontré son efficacité » 6. Ce que confirme le sénateur de l’Union pour la majorité présidentielle UMP, Jean-Paul Alduy cité dans le même article Il existe mille et une façons de ne pas payer ou de minorer cette amende. Bref, il est facile de passer à travers les mailles du filet ». Parmi les villes réfractaires, on trouve Neuilly-sur-Seine, la ville du président Nicolas Sarkozy ! Tout en se réjouissant qu’une dynamique vertueuse soit enclenchée, la Fondation Abbé Pierre regrette que 325 communes ne respectent pas la loi et 240 seulement ont été sanctionnées. L’État devrait être plus ferme, il faudrait tripler les pénalités et que l’État fasse jouer son droit de substitution aux maires défaillants » 7. 25En ce qui concerne le PNRU, ce programme irréaliste n’a pas atteint ses objectifs fin 2010 donc deux ans après la date initialement annoncée pour la fin du programme, le nombre de logement démolis n’était que » de 139 000, pour 133 000 logements reconstruits CES ANRU, 2011, p. 8. Dans une période de déficit de logements abordables, cette destruction systématique est choquante on aurait pu mobiliser ces moyens pour construire davantage, au lieu de construire “à la place” » Domergue, 2010, p. 35. Le Comité d’évaluation et de suivi de l’ANRU note plusieurs limites importantes les conditions de vie des habitants ne sont pas suffisamment améliorées ; […] la mixité sociale espérée n’est pas globalement atteinte » CES ANRU, 2011, p. 16. La mixité sociale, un consensus sur une chimère impossible à mesurer 26En 2000, dans un gouvernement d’union de la Gauche, un Ministre communiste de l’Équipement et du logement, Jean-Claude Gayssot, a été le maître d’œuvre de la loi SRU. Ce portage politique ne surprend pas, la Gauche et la Droite s’étant vigoureusement opposées lors du débat parlementaire. Pourtant, en d’autres temps, les marxistes se méfiaient de la mixité sociale, dans laquelle ils voyaient une ruse du patronat pour tenter de diluer la conscience de classe ouvrière Guerrand, 1966. Mais la mixité sociale est cohérente avec le communisme municipal », tel qu’il a été pratiqué notamment dans l’ex- banlieue rouge » parisienne. L’égalité entre les communes est le souci principal dans les années 1960, les municipalités communistes ont tenté de s’opposer, sans grand succès, à la volonté du gouvernement central et de la ville de Paris de construire chez elles les grands ensembles pour le relogement des exclus de la rénovation Baudin, 2000 ; Castells et al., 1973. Elles soutenaient que ce fardeau » ne devait pas reposer uniquement sur les communes ouvrières, qui avaient déjà suffisamment de pauvres, mais qu’il devait être également réparti entre toutes les communes. 8 Jean Leonetti, cité par Isabelle Rey-Lefebvre, La France doit-elle construire plus de logements s ... 27En 2003, le Ministre de l’Équipement et du logement est un centriste, Jean-Louis Borloo, membre de l’Union pour la majorité présidentielle de Jacques Chirac. Il a été le promoteur de la politique de rénovation urbaine massive et il a résisté aux appels de la fraction de la droite la plus conservatrice elle voulait abolir ou au moins assouplir l’obligation de mixité sociale, au nom de la liberté et du marché. En matière de politique du logement, la mixité fait aujourd’hui partie du socle commun accepté par la Droite et la Gauche. Le maire d’Antibes Côte d’Azur et député de l’Union pour la majorité présidentielle UMP a voté contre la loi SRU en 2000. Il déclare aujourd’hui malgré ses imperfections, la loi SRU a été un outil, un levier pour imposer la mixité sociale dans nos communes » 8. Dans ce domaine, la continuité l’emporte sur la rupture Blanc, 2007. La loi de 2003 renforce les moyens de réaliser la mixité sociale prévue en 2000, en étant aveugle à ses effets pervers. 28Cette doctrine présuppose que l’absence de mixité sociale est un problème exclusivement urbain section ci-après. Elle comporte aussi deux biais méthodologiques elle prend la proportion de logements sociaux dans la commune comme indicateur de mixité sociale, sans se préoccuper de la pertinence de la mesure à cette échelle section suivante. Elle ne tient pas compte de l’hétérogénéité de la population du logement social, la seule présence de logements sociaux n’est pas un indicateur pertinent de mixité sociale section d’après. La mixité en ville et à la campagne 29Le fondement implicite de la loi SRU fait du déficit de solidarité un phénomène spécifiquement urbain. Il faut donc imposer davantage de solidarité » dans les villes, mais les campagnes sont hors du champ de la loi, puisque le problème ne s’y pose pas Blanc & Bidou, 2010. Ce présupposé doit être questionné il y a sans doute des solidarités à l’intérieur des communautés villageoises, mais aussi des querelles de clocher ». Les nouveaux arrivants sont des intrus et l’opposition Established vs. Outsiders Elias & Scotson, [1965] joue à plein. Les villageois sont particulièrement allergiques à la création de logements sociaux dans leur commune, de peur qu’elle n’entraîne l’arrivée des cas sociaux », rejetés par la ville. La mesure de la mixité sociale à l’échelle communale 30Si la ségrégation et la mixité sont présentes dans les villes et les campagnes, elles prennent des formes différentes. Paradoxalement, la loi SRU ne s’applique que dans les agglomérations urbaines et elle raisonne pourtant comme si la France ne comportait que des petites communes rurales, qui seraient à la fois une unité de la vie sociale et une unité administrative. Dans une ville grande et même moyenne, 20 % de logements sociaux n’a pas grand sens en termes de ségrégation et de mixité si on ne sait rien de la répartition intra-communale si les logements sociaux sont concentrés dans certains quartiers, alors que d’autres n’en comptent pas, la commune sera peut-être en règle avec la loi SRU, mais la mixité sociale sera faible. Il est curieux que cette objection élémentaire soit si largement négligée. La diversité du logement social 31Dans le langage courant comme dans la loi SRU, le logement social est assimilé à celui des pauvres. La réalité est beaucoup plus nuancée et complexe, pour deux raisons essentielles tous les pauvres ne vivent pas dans le logement social et, inversement, le logement social n’héberge pas que des pauvres. C’est la principale limite de la mixité sociale par le statut d’occupation du logement tenure mix, en anglais il y a des riches et des pauvres, aussi bien chez les propriétaires que les locataires Tunstall & Fenton, 2006. Historiquement, le logement social est né en France avec les habitations à bon marché », suivies par les habitations à loyer modéré », les fameuses HLM Guerrand, 1966. Ces logements sont construits et gérés par des collectivités territoriales communes et départements ou par des organismes parapublics les ex-sociétés anonymes d’HLM, devenues Entreprises sociales de l’habitat. Ces organismes bénéficient de financements publics, ce qui leur permet de pratiquer des loyers modérés », c’est-à-dire inférieurs à ceux du marché. Juridiquement, les logements sociaux sont réservés aux ménages aux ressources modestes ». 32Ce loyer, même modéré, est encore trop élevé pour les plus pauvres ils sont mal logés dans les taudis du secteur privé, ce que l’on a appelé le marché de l’insalubre » Rudder-Paurd & Vourc’h, 1978, ou encore le logement social de fait. Les débats sur la mixité sociale et la loi SRU ne tiennent aucun compte des pauvres logés dans le secteur privé, parce qu’ils ne peuvent accéder au logement social. De plus, les organismes de logement social ne veulent pas loger exclusivement des pauvres. Ils ne veulent pas que logements sociaux » rime avec ghettos » et ils se présentent comme des généralistes de l’habitat », en invoquant les bienfaits de la mixité sociale. 33Le logement social est segmenté. Sous des appellations qui changent souvent, il y a une hiérarchie à trois niveaux le logement social ordinaire », en-dessous le logement très social » et au-dessus le logement social intermédiaire », ce qui veut dire entre le logement social et le marché libre. Lorsqu’elles ont été construites par des organismes de logement social, les cités universitaires sont considérées comme du logement social, même la résidence des élèves de la très prestigieuse École nationale d’administration ENA, en plein centre de Strasbourg. Ceci entraîne des niveaux de loyer différents, des plafonds de ressources différents et des listes d’attente différentes. C’est pourquoi le logement social a été accusé de produire des ségrégations sociales Barre, 1976. Mais la réforme du financement du logement social de 1977, qui a voulu a voulu favoriser la mixité par la mobilité des locataires, au moyen de l’aide personnalisée au logement, est dans une logique néo-libérale et elle n’a rien arrangé Blanc, 2004b. Quand il y a des très pauvres dans le parc privé et des classes moyennes dans le parc social, le pourcentage de logements sociaux est un instrument très grossier pour mesurer la mixité sociale. Les paradoxes de la mixité sociale 34Dans la théorie de la complexité, un paradoxe est une situation dans laquelle il faut satisfaire en même temps deux injonctions opposées et d’égale valeur Morin, 1991. Ainsi la rénovation urbaine vise à disperser les pauvres, mais sans savoir où les reloger, car personne ne veut les accueillir. Même à dose homéopathique, ils continuent à déranger et ils se retrouvent entre eux, souvent à proximité section ci-après. Par ailleurs, une mixité qui admet des exceptions n’est pas une vraie mixité. C’est pourtant ce qui se produit aux deux extrêmes, avec l’exclusion des plus pauvres et l’auto-exclusion des plus riches section suivante. Rénovation-démolition, dispersion et re-concentration 35Pour contraindre à la mixité sociale, la rénovation urbaine détruit beaucoup de logements sociaux, même en bon état, en ne tenant aucun compte du fait que la plupart des intéressés voudrait rester dans leur quartier et même conserver leur logement, avec des améliorations modestes. Il y a à cela deux types de raisons, économiques et affectives. Les pauvres sont réalistes ils savent que, si le logement est amélioré, il sera nécessairement plus cher. Ils ne veulent pas prendre le risque de se retrouver à la rue, faute de pouvoir payer le nouveau loyer. D’autre part, les pauvres sont attachés à leur habitat et à leur quartier parce qu’ils y ont leur famille et/ou leurs amis, leurs habitudes et, surtout, des réseaux d’entraide et de solidarité patiemment construits. Déménager dans un autre quartier, c’est se retrouver isolé avant d’avoir reconstruit de nouveaux réseaux de solidarité, ce qui est beaucoup plus long que les réseaux sociaux » sur internet ! La rénovation urbaine ne détruit pas seulement des immeubles, elle abolit un pan de la culture et de la vie sociale d’un quartier Coing, 1966. 36Ce saut dans l’inconnu est d’autant plus inacceptable que le relogement est habituellement mal préparé les nouveaux logements prennent du retard, la stigmatisation par l’ancienne adresse crée des barrières et les locataires redoutent le jugement négatif de leurs futurs voisins. C’est aussi une épreuve pour les autorités locales et les bailleurs sociaux, mal préparés à gérer ce genre de situation. Les contraintes bureaucratiques et financières sont telles que les locataires que l’on voulait disperser se retrouvent ensemble ! C’est le phénomène de re-concentration, observé notamment en Île-de-France Lelévrier, 2010. Ce phénomène n’a rien de nouveau observant la première rénovation urbaine à Paris, menée par le Baron Haussmann sous le second Empire 1852-1870, Friedrich Engels 1957 [1887] notait la question du logement n’est pas résolue, […] elle est seulement déplacée ». Une mixité sociale limitée aux couches moyennes et petites-moyennes 37On peut distinguer deux types de communes laissant à désirer du point de vue de la mixité celles qui n’ont pas assez de logements sociaux et doivent en construire pour se mettre en conformité avec la loi les communes SRU », selon Didier Desponds, 2010 et celles qui en ont trop et cherchent à en perdre, même si elles n’y sont pas tenues par la loi les communes ANRU ». En Île-de-France, les communes ANRU sont d’anciennes communes ouvrières de la banlieue rouge », dans lesquelles la proportion de classes moyennes a légèrement augmenté, via l’accession à la propriété les opérations de rénovation urbaine bénéficient davantage aux classes moyennes » Desponds, 2010, p. 55. Les classes moyennes sont aussi bénéficiaires dans l’attribution des logements sociaux, puisqu’on cherche à les faire revenir pour éviter de reconstituer des concentrations de pauvres, on avantage les candidats de classe moyenne, au détriment du principe de justice sociale. 38En Île-de-France, la ségrégation augmente à la fois dans les quartiers les plus riches et les plus pauvres. Entre les deux, c’est-à-dire dans la majorité des quartiers, la mixité augmente légèrement ; même dans les quartiers gentrifiés » Préteceille, 2006. Nouveau paradoxe, ce qui est normal » pour les riches, pratiquer l’entre-soi, est interdit aux pauvres, ce qui les fragilise. L’injonction à la mixité sociale s’adresse surtout aux catégories intermédiaires. Si le discours a changé, la situation reste proche de celle du xixe siècle, lorsque la petite bourgeoisie avait la mission » de vivre au milieu du peuple pour l’éduquer et le civiliser Guerrand, 1967. Mais la grande noblesse, comme la grande bourgeoisie, n’était pas concernée. 39Dans les quartiers en cours de gentrification, les gentrifieurs » les fameux bourgeois-bohêmes peuvent toujours se rassurer en se disant que leur présence est la cause de la mixité sociale » Charmes, 2005, p. 123, ce qui est en partie vrai, mais à court terme seulement. Ils mettent en avant le mélange des nationalités, mais cette mixité ethnico-sociale est beaucoup plus facile à réaliser à l’intérieur des mêmes catégories aisées, qui valorisent le cosmopolitisme, qu’entre couches moyennes et couches populaires. Toutes origines ethniques et/ou nationales confondues, les pauvres sont les exclus de la gentrification. Les frontières de classe sont plus résistantes que les frontières ethniques. 40Le paradigme de la transaction sociale est pertinent pour analyser une pratique sociale aussi paradoxale et ambiguë que la mixité sociale. La section ci-après retrace brièvement la formalisation de ce paradigme depuis l’ouvrage fondateur de Jean Remy, Liliane Voyé et Emile Servais, Produire ou reproduire ? 1991 [1978]. Elle souligne d’abord trois facteurs qui font l’originalité de cette approche et qui s’appliquent bien à la mixité sociale l’attention portée aux conflits, la place des accords informels et la combinaison de la confiance et de la méfiance. Elle interroge ensuite le statut de la transaction sociale c’est un paradigme heuristique, avec un but de connaissance ; faut-il aussi le considérer comme un paradigme pragmatique ? La réponse provisoire est prudente. 41En revenant au conflit de départ, entre la liberté de vivre entouré de ses proches et l’égalité dans l’accès à un logement décent, la section suivante montre que l’approche juridique, française mais aussi britannique, ne retient que le deuxième volet, en ignorant le premier. La conciliation de ces deux exigences passe par une dynamique transactionnelle, reconnaissant le rôle dans la cohabitation des communautés ouvertes », fondées sur un projet commun. Le paradigme transactionnel 42L’ouvrage Produire ou reproduire ? a été débattu et approfondi collectivement, permettant une formalisation progressive du paradigme transactionnel Blanc et al., 1992 ; Freynet et al., 1998 ; Gibout et al., 2009 ; Maroy et al., 2009. La transaction sociale est d’abord un processus qui inclut de l’échange, au sens du don et du contre-don, de la négociation pour parvenir à des compromis de coexistence, mais sans présupposer la liberté et l’égalité des partenaires la transaction peut passer par des phases de rapport de force et d’imposition section ci-après. Faire de la transaction sociale un paradigme pragmatique lui fait courir des risques, mais ce n’est pas une raison suffisante pour l’écarter section suivante. Conflit, compromis, coopération et confiance 43Le paradigme transactionnel s’inspire de la sociologie du conflit de Georg Simmel [1907]. La vie sociale est traversée et structurée par des couples d’opposition et en tension permanente, les partenaires étant à la fois complémentaires et opposés le conflit des générations, la lutte des sexes ou celle des classes, mais aussi le conflit de la tradition et de la modernité, etc. Dans ces conflits irréductibles, il faut faire son deuil d’une solution définitive. Seul un compromis est envisageable et il ne peut être que précaire et provisoire. La théorie de la complexité du social d’Edgar Morin 1991 est une seconde source d’inspiration. Les couples d’opposition produisent des paradoxes qui renforcent la complexité. 44Le paradigme de la transaction sociale permet de comprendre comment des acteurs qui sont à la fois partenaires et adversaires parviennent à élaborer les compromis qui leur permettent de coopérer. La coopération suppose un minimum de confiance, mais on ne fait pas spontanément confiance à un adversaire. La logique juridique est souvent contre-productive car elle fait par principe abstraction de la confiance, considérant qu’un accord en bonne et due forme doit avoir prévu à l’avance toutes les situations de rupture et d’échec de l’accord. Même si elles ne sont pas suffisantes et restent source de fragilité, les transactions informelles, implicites ou tacites sont souvent fécondes et elles peuvent permettre des avancées qui seraient impossibles si elles étaient officialisées. La défiance ne disparaît pas, mais la confiance se construit progressivement la transaction se caractérise comme ce mouvement paradoxal par lequel on établit une reconnaissance impossible, ou l’on rétablit une reconnaissance rompue, ce qui revient d’une manière ou d’une autre à négocier ce qui n’est pas négociable » Bourdin, 1996, p. 256-257. La connaissance et l’action 45Le paradigme de la transaction sociale a une fonction heuristique, dont le but est la connaissance intime du social, en combinant l’approche plus subjective de l’intérieur et l’approche plus objective de l’extérieur. Aujourd’hui, le développement exponentiel de pratiques sociales faites de médiation et de transactions, dans les conflits du travail ou dans les conflits familiaux notamment, amène à se demander si le paradigme transactionnel a acquis une fonction pragmatique. Que l’approche par la transaction favorise le développement de pratiques sociales innovantes, notamment en termes de gestion des conflits, serait une bonne chose. Mais les risques sont nombreux. Le premier serait d’établir une codification et un inventaire des bonnes pratiques transactionnelles », ce qui aurait deux inconvénients ce serait d’abord contradictoire avec l’idée d’expérimentation, de souplesse et d’adaptation au contexte ; ce serait aussi donner une valeur normative à la transaction, ce qui pourrait par exemple déboucher sur la production de manuels de transaction sociale », à l’usage de diverses professions, notamment pour les opérateurs de la mixité sociale dans l’urbanisme. Il y a de bonnes et de mauvaises transactions les échanges commerciaux représentent des guerres potentielles pacifiquement résolues et les guerres sont l’issue de transactions malheureuses » Claude Lévi-Strauss, cité par Remy & Voyé, 1981, p. 171. 46La polémique née au Québec sur les accommodements raisonnables », après la mise en oeuvre des recommandations de la commission présidée par Gérard Bouchard et Charles Taylor 2008, est très instructive à cet égard dans une société multiculturelle comme le Québec, des règles qui font sens pour un groupe sont absurdes pour un autre. Pour résoudre ce problème, on peut adopter une démarche proche de la recherche d’un compromis transactionnel et tolérer des assouplissements visant à rendre la règle acceptable par tous. Ce principe a été adopté de façon consensuelle comme plein de bon sens. Pourtant, sa mise en œuvre a provoqué un tollé ce qui était raisonnable » pour les uns, par exemple la tolérance au port du voile dans l’espace public, était totalement déraisonnable » pour les autres. C’est la fameuse question de qui jugera les juges ? » comment décider de ce qui est raisonnable quand le conflit porte sur les valeurs qui sous-tendent la » rationalité ? Mixité sociale, communauté de projet et société 47Les partisans de la mixité sociale dénoncent sans beaucoup de nuances un coupable tout trouvé les communautés et le communautarisme ». Si la critique des communautés refermées sur elles-mêmes se justifie pleinement, des communautés ouvertes » peuvent permettre de trouver une issue à l’injonction paradoxale de la mixité sociale. Communautés et sociétés 48Revenons sur le paradoxe de la première section la loi française privilégie l’égalité, avec le droit à un logement décent ; mais elle fait passer au second plan la liberté de vivre entouré de ses proches. Vivre au milieu de voisins inconnus, avec lesquels il n’y a aucune affinité, est une perspective peu réjouissante. La même logique est à l’œuvre en Grande-Bretagne, où les villes gèrent une part importante du logement social. De nombreuses municipalités ont mis en place un système de points pour attribuer leurs logements. Certaines accordaient des points supplémentaires aux enfants des résidents du quartier en considérant que, si ces jeunes adultes voulaient rester dans le quartier de leur enfance, c’était une bonne chose pour leur insertion dans la communauté de quartier. Par contre, les juges ont estimé que, si l’intention était louable, ce dispositif entrait en contradiction avec la loi contre la discrimination raciale et qu’il devait être aboli. En effet, cette prime à l’ancienneté » fait obstacle à l’obtention d’un logement par les immigrants récents Blanc, 2004a, p. 203. 49Le modèle implicite est une société constituée par des individus mobiles et sans aucune attache, ni à des espaces, ni à des personnes. C’est une société sans institutions intermédiaires, ce qui est une vision très réductrice de la complexité des sociétés. Une communauté est un groupe intermédiaire qui entretient des liens affectifs forts, produits par une histoire et une identité communes. Une communauté peut être repliée sur elle-même et fermée aux autres ; elle est alors incompatible avec la mixité sociale. Elle peut aussi être accueillante et ouverte, devenant alors une communauté de projet Blanc, 2012. Mixité sociale et communauté de projet 50Une communauté de projet est par définition ouverte à tous ceux qui adhèrent au projet, même si le projet commun est très vite susceptible de lectures opposées Reynaud, 1989. Pour rester ouverte, une communauté de projet doit être attentive à faire évoluer son projet dans le sens d’une plus grande ouverture, pour que la communauté puisse s’élargir et se renouveler. La distinction entre communauté ouverte et fermée est un type-idéal toute communauté est prise dans la tension entre l’ouverture et la fermeture. La tentation de l’ouverture peut donner le vertige en s’élargissant, la communauté risque de renier ses valeurs fondatrices. C’est une piste permettant de concilier les apports de la vie communautaire et les exigences de la mixité sociale, en respectant l’entre-soi, mais en l’assortissant d’une plus grande ouverture à l’environnement social. Conclusion inégalités et mixité sociale 51Il faut éviter la confusion, aujourd’hui fréquente, entre l’égalité et l’égalité des chances. Pour accéder à un emploi, une formation ou un logement, l’égalité des chances consiste à placer tous les candidats sur la ligne de départ en veillant à ce que le processus de sélection ne prenne en compte que les compétences de chacun. Cette démarche a le mérite de s’attaquer aux privilèges, rentes de situation et autres passe-droits. Elle réduit ainsi des inégalités flagrantes et choquantes. Mais l’égalité des chances ne produit pas de l’égalité certains sont pris, d’autres sont rejetés. Les inégalités persistent, mais elles deviennent légitimes et supportables parce que fondées sur des critères justes. L’égalité des chances peut paradoxalement renforcer les inégalités justes Bihr & Pfefferkorn, 2000. 52La mixité sociale est le refus du ghetto et de toute forme d’assignation à résidence ; elle répond à l’aspiration à davantage de liberté et de fraternité. Mais, dans sa contribution à la réduction des inégalités spatiales, la mixité sociale doit aller bien au-delà de l’égalité des chances dans l’accès au logement social. Il ne suffit pas d’imposer la cohabitation sur un même espace à des catégories sociales hétérogènes. Il faut aussi se soucier de la qualité des échanges sociaux, ce qui est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre et à apprécier. 403 ERROR The Amazon CloudFront distribution is configured to block access from your country. We can't connect to the server for this app or website at this time. There might be too much traffic or a configuration error. Try again later, or contact the app or website owner. If you provide content to customers through CloudFront, you can find steps to troubleshoot and help prevent this error by reviewing the CloudFront documentation. Generated by cloudfront CloudFront Request ID 2UNgic_GVGdEaZc6IekVPeLeFtUYhQ6qzLNVV7HlHGeYKWUg5I7FlQ== Écrivain engagé sur la question des inégalités aux États-Unis, Joseph Stiglitz, né en 1943, fait partie de la mouvance des néo-keynésiens. Ces derniers s'opposent aux néolibéraux sur de nombreux points lutte contre l'inflation, déréglementation des marchés, politiques d'austérité, etc. Ils proposent en lieu et place de ces mesures peu concluantes une relance de l'économie par la demande, une meilleure répartition de la valeur ajoutée et surtout une intervention de l’État pour éviter les excès des institutions financières. Cela ne va pas sans une lutte contre les inégalités, qui font que 1 % des Américains se partagent plus de 40 % des richesses nationales constat aussi vérifiable en Europe.Parti ainsi du constat que trop d'inégalités ne profitent à personne, Joseph Stiglitz décortique la question dans son ouvrage à travers des critiques de l'idéologie néolibérale et des propositions de réformes. inégalités fabriquées et entretenues par le 1 %Stiglitz expose une situation des plus critiques il montre qu'une partie infime de la population peut détenir une part conséquente des richesses, et maintenir ses intérêts à tout prix, au détriment de la majorité. C'est le constat qu'il fait aux États-Unis les richesses ruissellent non pas du haut vers le bas, via la redistribution et une imposition progressive, mais du bas vers le haut ; les 1 % les plus riches vampirisent les ressources grâce à différents moyens par exemple, ils influencent les décisions du Congrès afin de ne jamais faire passer les amendements en faveur de plus de redistribution les candidats les plus progressistes sont systématiquement évincés par le lobbyisme. À la place, les libéraux-conservateurs placent leurs pions, sur la recommandation du 1 %, et entretiennent une croyance dangereuse leurs intérêts sont les intérêts des 99 % restants. Ainsi, les choses risquent difficilement de changer ; le pire étant que les classes populaires sont celles qui se mobilisent le moins pour aller voter, en pensant que la politique ne peut de toute façon rien pour eux. Ils subissent de fait une asymétrie d'informations car les plus riches, au contraire, sont bien conscients de leurs intérêts. De plus en plus, comme le rappelle l'auteur, le système politique glisse d'un principe une voix, un vote » à un dollar, un vote ». Ce triste constat n'est pas moins vrai dans notre pays comme le prouve le programme en faveur des plus riches du président E. les classes moyennes et populaires auraient beaucoup à dire en se manifestant leurs conditions de vie se dégradent tandis que les très hautes fortunes se multiplient, atteignant des sommets. En témoigne le coût faramineux de l'éducation aux États-Unis, dans un pays qui se prétend être le héraut de l'égalité des chances. En effet, les étudiants doivent contracter des prêts auprès de banques privées pour espérer poursuivre dans l'éducation supérieure, ce qui les endette sur des décennies. Ce système profite à ceux qui ont déjà des revenus conséquents, et entretient donc l'inégalité des chances sur le long terme. Malheureusement, l'élitisme reste fortement ancré dans un pays partant sur le principe que chaque homme est libre et égal aux autres, entretenant l'idée que la pauvreté est, finalement, une condition choisie. Cela fait que la protection sociale est minime et souvent inabordable pour les plus précaires. Si la situation française n'est pas tout à fait comparable, il ne faut nier le coût important de certaines formations écoles de commerce, écoles d'art... et leurs conséquences sur l'inégalité des le triste constat aux États-Unis qu'établit l'auteur est l'hégémonie de la pensée du 1 %. Celui-ci a tout intérêt à souhaiter une réduction de l'État, quitte à vanter la liberté totale des marchés qui ont plus d'une fois prouvé leur incapacité à s'autoréguler krach boursier de 1929, crise des subprimes de 2008.... Pour ce faire, les penseurs du néolibéralisme n'hésitent pas à brandir les échecs du communisme, peur particulièrement virulente dans un pays qui l'a combattu de longue date, n'ayant aucun scrupule à faire l'amalgame avec le socialisme. Ce mythe selon lequel il n'existe pas d'alternative au libéralisme est ensuite relayé par les organes de presse, que possèdent bien souvent les grands patrons du 1 %. Le moindre pas vers plus d'égalités soulève immédiatement un tollé chez eux, qui crient au communisme et à la désincitation de faire du profit et soutenir la croissance. Ces arguments caricaturaux sont utilisés par les libéraux contre B. Sanders aux USA, P. Iglesias en Espagne, J. Corbyn au Royaume-Uni, ou encore contre la France Insoumise en France. Pourtant, comme nous allons le voir, plus d'égalités profiteraient à mesures possibles pour limiter les inégalitésIl revient d'abord d'éclipser les doutes sur le mythe des inégalités. Certes, celles-ci ne peuvent disparaître et une égalité absolue serait absurde. Il n'en reste pas moins que les inégalités nuisent à la croissance et à la cohésion sociale. D'une part, les classes moyennes et précaires, qui représentent une majorité écrasante, sont les rouages de l'économie. Stimuler la consommation en augmentant leurs salaires produirait bien plus de richesses qu'augmenter le salaire des PDG – le problème n'étant pas les hauts salaires, mais le fait qu'ils sont multipliés alors même que la précarité se multiplie et que certains patrons licencient en même temps. Par exemple, Stiglitz a théorisé ce qu'on appelle le salaire d'efficience un salaire élevé motive les travailleurs à fournir une productivité maximale, là où la hausse du salaire patronal ne fait qu'augmenter le sentiment d'injustice dans une conjoncture difficile. D'autre part, trop d'inégalités effrite la cohésion sociale hausse de la criminalité, hausse du taux d'abstention, richesses monopolisées par une minorité qui rejette toute solidarité et œuvre pour contribuer toujours moins. On pourrait dire la même chose de la situation en France aux élections présidentielles, et encore davantage aux législatives, la participation des classes populaires est toujours plus ténue, ou contribue d'une poussée du Front second lieu, et contrairement à ce qu'en pense la doxa en place, l'État devrait plus que jamais assurer son rôle redistributeur. Tout d'abord en augmentant l'impôt sur les successions et en assurant la progressivité de l'impôt. Le manque à gagner représente plusieurs milliards de dollars – mais cet enseignement est aussi valable en Europe – et pourrait par exemple permettre de réinvestir dans l'éducation, la santé ou l'aide aux plus démunis. Par ailleurs, il devrait se montrer intransigeant envers les fraudes et pratiques vautours des banques, consistant à maximiser leurs profits en vendant des titres pourris aux ménages à bas revenus. C'est ce type de pratique qui a provoqué l'effondrement des titres à la veille de la crise de 2008, car ces titres ne valaient en fait rien. Le problème est que l'État indemnise systématiquement ces banques, ces dernières profitant de leur filet de sécurité car elles sont soit disant trop importantes pour faire faillite » too big to fail ». L'État, comme il l'a déjà fait par le passé, devrait laisser ces banques mourir pour envoyer un signal au monde dernier lieu, l'auteur expose une série de réformes urgentes pour améliorer la lutte contre les inégalités et exalter la croissance empêcher les sociétés financières de prendre des risques aux dépens des 99 % ; rendre les banques plus transparentes pour éviter qu'elles créent, selon l'expression de Warren Buffett, des armes financières de destruction massive » ; veiller à la concurrence bancaire pour empêcher les banques de trouver de nouveaux moyens de s'enrichir au détriment du consommateur et du commerçant ; limiter l'usure le prêt à des taux extrêmement élevés ; juguler les bonus qui encouragent la prise de risque ; et enfin, fermer les paradis fiscaux qui témoignent d'un refus de solidarité dans un contexte économique difficile pour tous. La France Insoumise le combat pour l'égalitéLes propositions du prix Nobel de l'économie se retrouvent donc assez largement dans le programme de la France Insoumise hausse des salaires et des pensions, mise au pas de la finance, création d'un véritable pôle public bancaire, lutte contre l'accumulation des richesses en instaurant un salaire maximum dans les entreprises 20 fois le salaire minimum de cette même entreprise, gratuité de l'enseignement universitaire et scolaire...L'égalité n'est pas donc simplement un mot ou une idée, c'est aussi un combat qui mérite d'être mené. Dans cette bataille pour le mieux-vivre, nous pouvons compter, entre-autre, sur les propositions de J. Stiglitz et sur la détermination des députés de la France Insoumise. 1La question ici abordée concerne l'organisation dynamique du territoire brésilien dans ses rapports avec les changements sociaux et politiques. Le thème est vaste étudier la différenciation spatiale du Brésil et y lire la transcription géographique des inégalités sociales. En réalité, l'objectif du propos est à la fois limité et ambitieux. Limité car il ne s'agit pas ici de rappeler des inégalités régionales connues. Ambitieux car il s'agit de combiner les différentes échelles géographiques auxquelles fonctionnent les inégalités socio-spatiales et de réfléchir aux outils théoriques susceptibles d'en permettre l'intelligence. 2Quelques mots-clés peuvent cadrer la démarche inégalité, intégration, exclusion, ségrégation, cohésion, fragmentation. S'il y a inégalité sociale, celle-ci peut en effet recouvrir des relations très dissemblables entre les partenaires y a-t-il intégration dans un jeu où le fort reste proche du faible pour mieux le dominer, ou exclusion sociale, le riche mettant une barrière entre lui et le pauvre ? Le lien social intégrateur va-t-il de pair avec une certaine cohésion territoriale, et l'exclusion sociale avec la ségrégation, la frontière, la discontinuité ? Ou faut-il parler de fragmentation territoriale à analyser dans une approche pluriscalaire ? Enfin, si le social se croise avec le spatial, la dimension du temps doit aussi être présente pour les héritages que l'histoire a laissés et leur recomposition avec les données d'aujourd'hui. 3L'organisation de l'espace disant l'inégalité sociale, la renforçant et contribuant à sa reproduction, faut-il à ces mots-clés ajouter celui de justice socio-spatiale ? Doit-on étudier les inégalités sur le seul plan de l'analyse, en décrivant les faits et en proposant leur explication, ou peut-on donner à ces inégalités une qualification éthique et les apprécier au regard de valeurs ? Le mélange des registres ne serait pas sans danger s'il était implicite et mêlait sans méthode le discours scientifique et le discours de jugement. En revanche, peut être défendue comme légitime une approche qui dit clairement à quelle théorie de la justice elle se réfère et au nom de quels principes elle apprécie les réalités. Pourquoi la philosophie morale devrait-elle être confisquée par les seuls philosophes et n'avoir pas sa place dans les sciences sociales ? Penser le territoire à la lumière de la philosophie morale et politique 4Si la géographie est la science de la différenciation spatiale, force est de constater que la différence renvoie à plusieurs significations possibles. Que le territoire ne soit pas homogène, c'est une évidence dictée par les données physiques et les contraintes économiques. Outre la répartition des potentiels naturels, nombre d'activités ont nécessairement une localisation ponctuelle et ne pourraient être distribuées d'une manière uniforme dans l'espace. Constat d'une manifeste banalité, mais plutôt réjouissant quel ennui produirait la planète si elle n'était variée et si, allant ailleurs, on rencontrait le semblable au lieu d'être confronté au dépaysement et à l'altérité ! La véritable question porte donc sur le sens social des différences qui existent entre les lieux et entre les hommes la différence est-elle la diversité dans l'égalité ? Quand la différence devient-elle inégalité ? Quand l'inégalité devient-elle injustice ? 5La présente réflexion s'appuie sur la Théorie de la Justice de John Rawls 1987. Sans prétendre la résumer en quelques lignes, il est nécessaire pour la suite du propos d'en rappeler les lignes maîtresses et d'exposer en quoi elle peut s'avérer féconde en géographie. Le pari ici tenu est en effet que la philosophie morale constitue un outil pour penser le territoire Bret, 2000 ; 2001. 1 J'ai tenté de généraliser et de porter à un plus haut niveau d'abstraction la théorie tradi-tionne ... 2 Pour que les principes retenus atteignent le plus haut niveau d'abstraction et aient ainsi une val ... 6Dans une perspective kantienne qui vise à l'universalité, John Rawls pense la justice non pas comme égalitarisme, mais comme optimisation des inégalités. C'est en quoi sa théorie, bien qu'elle porte sur l'organisation de la société, peut s'avérer précieuse pour appréhender le territoire, mentionné plus haut comme différencié et porteur d'inégalités. Dans la tradition des philosophies du contrat1, John Rawls énonce en ces termes les deux principes fondamentaux de la justice comme équité2 7- en premier lieu chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres ; 8- en second lieu les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon que, à la fois, a l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun, et b qu’elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous Rawls, 1987, p. 91. 9Le premier principe jouit d'une priorité sur le second et ne peut donc être enfreint pour que le second soit satisfait. Le second principe, que John Rawls appelle le principe de différence, dit à quelles conditions l'inégalité est compatible avec la justice que tous aient accès à toutes les positions sociales dans des conditions égales, ce qui exclut les sociétés de castes, et que tous tirent un mieux-être des inégalités existantes. Ce dernier point est d'une importance capitale. Il signifie que, pour être conforme à la justice, l'inégalité doit être telle qu'elle maximise le sort de ceux qui ont le minimum le critère du maximin dit si l'inégalité satisfait au principe de différence. La définition de l'injustice s'en déduit en toute logique l'injustice est alors simplement constituée par les inégalités qui ne bénéficient pas à tous Rawls, 1987, p. 93. S'affichant d'une manière explicite comme une alternative à l'utilitarisme, la théorie rawlsienne apporte avec la notion de maximin une contribution fondamentale à la justice distributive. Définissant les biens premiers comme tout ce qu'on suppose qu'un être rationnel désirera Rawls, 1987, p. 122, John Rawls place sous ce terme les droits, les libertés et les possibilités offertes, les revenus et la richesse et parle à leur propos de biens sociaux premiers puisqu'ils résultent de l'organisation sociale et qu'ils doivent être distingués des biens premiers naturels que sont la santé et les talents. Ce sont d'ailleurs la diversité et l'inégalité dans la dotation des biens premiers naturels qui rendent nécessaire une règle déterminant l'accès équitable aux biens sociaux premiers. Enfin, John Rawls, énonce le principe de réparation selon lequel doivent être réparées les inégalités qui ne profitent pas à tous et qui sont donc des injustices ce principe affirme que, pour traiter toutes les personnes de manière égale, pour offrir une véritable égalité des chances, la société doit consacrer plus d'attention aux plus démunis quant à leurs dons naturels et aux plus défavorisés socialement par la naissance Rawls, 1987, p. 131. Ce principe donne leur légitimité aux discriminations positives. 10Ce bref rappel était nécessaire. Reste à montrer que cette théorie offre un cadre permettant de penser l'espace. D'un intérêt majeur pour toute réflexion sur le développement inégal et sur le territoire en tant qu'espace social inégalement développé. Elle aide ici à formuler les questions essentielles sur le Brésil de ces dernières décennies comment répartir la richesse produite ? Faut-il sacrifier une classe sociale pour assurer le démarrage de la croissance ? Une distribution moins inégalitaire du revenu est-elle un danger pour la maximisation du produit total ? Est-ce vrai, le cas échéant, dans la seule phase historique de l'accumulation initiale ou cela le reste-t-il une fois enclenché le processus de croissance cumulative ? 11Si la théorie rawlsienne ne retient pas l'égalitarisme comme principe de justice, l'idée d'égalité, elle, reste au cœur de sa problématique. Pour la justice comme équité, l'inégalité des conditions matérielles n'est admissible que si elle profite d'abord aux plus pauvres, c'est le principe du maximin, mais aussi sous la double réserve que, d'une part, l'accès des positions sociales soit ouvert à tous dans des conditions égales et, d'autre part, que soit satisfait le premier principe de justice, lequel, attribuant un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous, pose l'égalité de la valeur intrinsèque des personnes. Cette affirmation est capitale pour l'organisation de la vie en commun, elle fonde la culture démocratique et implique aussi que l'inégalité des conditions matérielles soit contenue dans des limites compatibles avec l'exercice effectifs des libertés. 12La question de savoir si l'inégalité territoriale peut être qualifiée d'injuste étend donc à l'espace le principe du maximin l'unité territoriale la plus pauvre est-elle appauvrie par la concentration de la richesse dans l'unité territoriale la plus riche, ou la première gagne-t-elle par entraînement au fait que la seconde soit mieux lotie ? Paupérisation absolue dans un cas, et relative dans l'autre. Ou encore, peut-être, périphérie dominée dans un cas et intégrée dans l'autre. L'application du maximin conduit-elle à utiliser l'inégalité comme moteur du développement, et comment ? Le principe de réparation est-il mis en œuvre par l'aménagement du territoire ? La complexité de la configuration réside dans le fait que les territoires sont occupés par des sociétés globales elles-mêmes différenciées en groupes sociaux aux intérêts divergents, d'où il s'ensuit que la compétition sociale interfère avec les enjeux territoriaux. Mais cette difficulté présente l'intérêt de maintenir au centre du raisonnement l'attention aux conditions socio-politiques dans lesquelles les résultats économiques sont atteints, car l'ordre des principes exige d'abord le respect des personnes et l'égalité de tous dans l'accès aux libertés. Une intégration traditionnelle au service d'un modèle social inégalitaire 13Parce qu'il a pour contraire l'exclusion, le terme intégration bénéficie souvent d'un a priori favorable. Il semble signifier la solidité du lien social et trouver son répondant géographique dans l'idée de cohésion territoriale. Or, cette interprétation univoque masque l'ambiguïté du mot. Signifiant le renforcement des liens existant entre les éléments d'un système, l'idée d'intégration, quand elle s'applique aux groupes humains, exprime certes l'étroitesse du lien social. Mais elle ne dit rien sur la nature de ce lien, ce qui interdit de lui attribuer sans examen une qualification positive. À la limite, l'intégration maximum existe dans les sociétés de type holiste où chacun ne vaut que par sa participation au groupe dans le rôle qui lui y est dévolu société oppressive qui nie l'individu et le prive de cette liberté essentielle qu'est la formulation d'un projet de vie. En réaction, l'individualisme doit être salué comme une promotion des personnes. Ce n'est pas contradictoire avec l'idée d'intégration sociale, mais alors d'une nature différente, fondée sur une dynamique où chacun, reconnu pour lui-même comme un acteur social, peut choisir et agir. 14Il vaut donc la peine d'interroger l'intégration sociale. L'observation de l'espace social d'aujourd'hui, avec ce qu'il traîne d'héritage du passé, peut y aider. Le lien social vertical se lit dans l'organisation de l'espace social local Interférence des lieux et interférence des temps approche pluriscalaire et référence à des périodes historiques diverses pour appréhender l'espace social 3 C'est le quarto empregada. 4 Employées est volontaire-ment mis au féminin ce sont systématiquement des fem-mes les empregada ... 15Espace privé par excellence, le logement informe sur la société. Le contraste entre les immeubles dotés du confort et l'habitat précaire des favelas est ce qui frappe d'abord. Il en sera question plus loin. Doit être noté auparavant, à une autre échelle, le plan des logements individuels eux-mêmes dans les immeubles urbains il n'est pas d'appartement destiné à la clientèle aisée ou aux classes moyennes qui ne compte une ou deux chambres de bonne3. Il est vrai que les usages évoluent avec le temps et que certains jeunes ménages, même disposant de revenus confortables, préfèrent s'organiser sans domestique à demeure. La baisse des prix de l'électro-ménager les y encourage, comme le fait que les employées4 défendent aujourd'hui mieux leurs droits que par le passé. Mais la raison essentielle de ces nouveaux comportements, encore minoritaires, réside dans la volonté de rompre avec des usages où il était inconcevable de tenir son rang, fût-il moyen, sans avoir à disposition quelqu'un à son service. 5 Malgré l'exiguïté, la chambre de bonne garantit une habitabilité meilleure que bien d'autres logem ... 6 Le plus célèbre fut celui de Palmares, dans l'État actuel de l'Alagoas. 7 Le 20 novembre est chaque année au Brésil le jour de la conscience noire, en souvenir de la mort d ... 16Le présent fait ici écho au passé la chambre de bonne d'aujourd'hui, quelques mètres carrés donnant sur la cuisine5, est l'héritière de la senzala de l'esclave d'autrefois. Le sociologue Gilberto Freyre avait magnifiquement décrit la société coloniale et l'avait résumée dans l'opposition entre la casa grande - la maison du maître - et la senzala - la maison de l'esclave Freyre, 1974. Ce rappel historique éclaire la question ici traitée l'intégration sociale examinée dans ses rapports avec la qualité du lien social. Est-il un système social qui intègre plus que celui où le travailleur est la propriété de son maître ? Et en est-il de plus injuste, de plus attentoire à la liberté individuelle et aux droits de l'homme ? C'est précisément de n'avoir pas assez souligné ce point qui a été parfois reproché à Gilberto Freyre. Son analyse, brillante et dite dans une langue superbe, présentait un Brésil colonial fondé sur la conciliation des hommes plus que sur l'affrontement des groupes sociaux alors que les tentatives des esclaves pour secouer le joug de l'oppression ont été nombreuses. Les quilombos6, refuges d'esclaves marrons, constituaient autant d'espaces de liberté pour ceux qui avaient fui les plantations. L'idée d'une émancipation des Noirs devait venir plus tard, et, pendant longtemps, il n'était pas possible de se libérer sans inscrire cette liberté en un lieu, c'est-à-dire sans s'évader de la terre de servitude pour créer ailleurs un territoire soustrait à l'ordre colonial. Eloquente illustration de l'intégration comme injustice à quoi ne pouvait répondre qu'une exclusion volontaire. Le souvenir de la résistance noire conquiert peu à peu sa place dans la culture politique du Brésil7 car le fait majeur de la période esclavagiste a bien été, par définition, l'esclavage intégrer pour asservir. 8 Morador vient du verbe morar qui signifier habiter le morador travaille sur le grand domaine et ... 17L'organisation du grand domaine agricole a prolongé, après la libération des esclaves, le lien social vertical qui lie celui qui a la terre et celui qui la travaille. Ce fut le système de la moradia dans lequel le morador8 cultive la terre du maître contre l'usufruit d'un lopin de terre. Perdure dans la moradia la dépendance personnelle du pauvre envers le riche, c'est-à-dire la forte intégration sociale dans une situation d'injustice. Le lien social reste ici un lien de domination, et l'espace social demeure pour le dominé un espace clos, limité au grand domaine. C'est un espace privé où se nouent pourtant les relations entre les acteurs sociaux, en cohérence avec un système social paternaliste où le dominant sert de médiateur au dominé pour son insertion dans l'espace public, son devenir social et son expression politique. L'organisation territoriale nationale 18La genèse de la société brésilienne est intimement liée à la formation de son territoire Droulers, 2001. 9 Le traité de Tordesillas date de 1494, deux ans après la découverte du nouveau monde et six ans av ... 19Deux processus ont permis que la nation prenne pleinement possession de son espace. Le premier est la conquête de l'Ouest. Les bandeirantes, fondateurs horizontaux du Brésil, ont pénétré le sertão à partir du littoral tôt occupé par les fondateurs verticaux qu'avaient été les planteurs. Leur aventure mettait en œuvre ce souci constant des autorités portugaises puis brésiliennes de repousser le méridien, c'est-à-dire d'aller au-delà de la limite que l'Espagne et le Portugal avaient fixée arbitrairement à leurs ambitions respectives lors du Traité de Tordesillas avant même que le Brésil ne fût découvert9 ! L'incorporation de terres nouvelles a réalisé l'intégration de l'intérieur dans un territoire contrôlé par les élites sociales de la côte. Le second processus, plus récent, a été l'intégration des régions dans un espace économique cohérent. Les différentes régions ont en effet longtemps entretenu des relations directes avec l'Europe davantage que des relations entre elles. Le profil exportateur de leurs économies respectives les y poussait, tout comme la précarité des transports intérieurs. C'était l'époque de l'archipel brésilien Thery, 2000. Puis vint un moment où les relations entre les régions se sont intensifiées et où l'archipel s'est fait continent selon l'expression d'Aroldo de Azevedo 1968. 20Intégration économique donc, et aussi intégration territoriale. L'intégration sociale a-t-elle progressé dans le même temps ? Sans doute, car le phénomène bandeirante a fait corps avec l'identité nationale et a consolidé chez les Brésiliens le sentiment d'une commune appartenance à une terre. Mais, paradoxe témoignant de l'aliénation sociale que peut véhiculer la territorialité, alors que tous partageaient le sentiment d'appartenir à une terre, la terre, elle, était la propriété de quelques-uns seulement ! La perception du territoire à l'échelle nationale se combinait ainsi avec des structures foncières excluant de la propriété du sol la majeure partie de la population. 21L'histoire a donc laissé en héritage une véritable nation Hérodote, n°98, 2000. Mais l'intégration sociale y a plus servi l'injustice que l'équité. Modernisation et justice socio-spatiale 22Questionner les inégalités socio-spatiales au cours des dernières décennies, c'est se demander si l'intégration sociale a continué à jouer son rôle de domination et de contrôle social ou si sa fonction s'est modifiée dans le sens d'une plus grande solidarité. C'est aussi s'interroger sur les transformations spatiales qui ont enregistré les changements sociaux, les ont consolidés et les ont peut-être amplifiés. 23Brasilia donne ici matière à réflexion. En établissant la nouvelle capitale sur les austères plateaux du Goias, le Président Juscelino Kubitschek relançait la tradition bandeirante et créait à l'intérieur un point d'ancrage utile à la mise en valeur de l'Ouest. La localisation même du nouveau district fédéral symbolisait l'unité nationale au partage des eaux du São Francisco à l'Est, du Parana au Sud et du Tocantins au Nord-Ouest, Brasilia se situe à la soudure des grandes régions naturelles et humaines du pays et constitue le lieu idéal pour organiser l'intégration du Brésil pauvre, le Nordeste, et du Brésil riche, le Sudeste et le Sud, avec le Brésil pionnier de l'Amazonie. Mais, pour essentiel qu'il soit à l'intégration du territoire national, ce lieu, dans les limites du district fédéral, donne à voir le spectacle de la ségrégation et de l'exclusion sociale. C'était rêverie de croire que la nouvelle capitale pourrait symboliser aussi l'harmonie sociale cette ville est à l'image du pays dont elle est la tête. Aussi, l'inégalité sociale s'y lit-elle d'une façon particulièrement nette les classes privilégiées dans le plan-pilote de Lucio Costa et Oscar Niemeyer, les classes moyennes et défavorisées dans les villes satellites à plusieurs dizaines de kilomètres, et les plus pauvres, enfin, dans des favelas. 24Le Brésil s'est ainsi modernisé en combinant deux processus contradictoires - l'intégration et l'exclusion - perceptibles chacun à plusieurs échelles et appliqués à la société comme au territoire. La modernisation conservatrice et l'espace social 25Intégration et exclusion, le modèle brésilien de croissance a porté à son paroxysme cette singulière association, quand, autour des années 1970, on a parlé du miracle brésilien, apparent succès économique utilisé par les militaires au pouvoir de 1964 à 1985 pour revendiquer une légitimité, comme si un taux de croissance pouvait suppléer le verdict des urnes ! 26La véritable question à poser est celle-ci croissance pour qui ? La haute conjoncture s'alimentait d'une large ouverture aux capitaux étrangers et d'un gros effort à l'exportation, deux choix requérant une sévère contention des salaires, que le dumping social serve à attirer les entreprises extérieures ou qu'il rende les exportations plus compétitives à l'étranger. La période est ainsi caractérisée par une concentration des revenus, d'autant que le régime voulait favoriser les classes moyennes urbaines dans l'espoir, pas toujours déçu, de s'assurer leur soutien. De toutes les façons, il était cohérent d'élever le pouvoir d'achat de ces classes sociales pour soutenir la construction automobile et, plus généralement, les industries de biens de consommation durable. Cohérent, mais injuste puisque l'inégalité dans la distribution des revenus n'était pas réalisée dans le but de tirer les plus pauvres vers le haut et contrevenait donc fondamentalement au principe du maximin. 27On avait parlé de miracle, mais la vérité est qu'il n'y eut pas de miracle face au premier choc pétrolier de 1973 malgré une capacité d'adaptation remarquable en matière énergétique, ni face au second de 1979, et pas davantage devant la crise de la dette des années 1980. Comme dans toute l'Amérique latine, ce furent les années de la décennie perdue pour la croissance, mais gagnée pour la démocratie. L'incapacité des gouvernants à résoudre la crise leur ôtait le simulacre de légitimité qu'ils avaient cherché dans la croissance, et les jours du régime étaient dès lors comptés. 28Dit maintes fois, le fait doit être ici rappelé la période militaire a été réactionnaire sur le plan social, mais elle a modernisé le Brésil dans de nombreux domaines. Imposant au pays une marche forcée vers la puissance économique et l'affirmation sur la scène internationale, le régime autoritaire voyait en effet dans l'aggravation des inégalités internes le moyen d'assurer la puissance externe certains groupes sociaux, certaines entreprises, certains lieux devaient être favorisés pour se hisser au niveau du premier monde, sans considération pour ceux des Brésiliens qui ne suivraient pas et s'en trouveraient marginalisés. L'expression de modernisation conservatrice peut donc être appliquée à ce processus une modernisation qui ne se réalise pas dans l'intérêt des plus pauvres. Autant dire plus explicitement modernisation de l'injustice Bret, 2000, p. 340. Les échelles géographiques de l'injustice 29L'approche pluriscalaire se révèle là encore de bonne méthode, pas tellement parce qu'elle permettrait de voir les phénomènes à des niveaux de détail plus ou moins fins, mais parce qu'elle fait apparaître selon les échelles d'analyse des acteurs institutionnels et sociaux distincts et des intérêts divergents. 30À l'échelle nationale, l'idée d'intégration était plus que jamais à l'ordre du jour sous les militaires. Consacrée en 1970 par un Plan d'intégration nationale, elle se trouvait au centre du projet territorial du Second plan de développement 1975-1979. L'idée était d'articuler de façon plus efficace les potentialités complémentaires des différentes régions du pays. Que cela ait été alors un moyen pour taire les racines sociales des difficultés du Nordeste atteint par une grave sécheresse en 1970 n'est pas douteux situer le remède ailleurs permettait de déplacer la crise de la sphère sociale et donc du registre politique vers le registre apparemment technique de la construction des routes sur les terres vides de l'Amazonie. De plus, renouer avec la tradition pionnière était bien de nature à flatter une opinion publique sensible au thème d'un Brasil Grande engagé dans une aventure prométhéenne qui consoliderait sa souveraineté et le confirmerait comme une puissance qui compte dans le monde. 31Dans la continuité de ce que le régime antérieur avait fait à Brasilia, l'opération lancée alors en Amazonie ne peut certes pas être critiquée a priori dans son principe car occuper humainement et économiquement les régions de l'Ouest et mieux les incorporer au reste du territoire brésilien est un objectif d'une utilité peu contestable. Le problème ici discuté se situe sur un tout autre plan il est de savoir si l'idée d'intégration nationale a été utilisée pour servir la cohésion sociale dans une plus grande justice, ou, au contraire, si elle a été instrumentalisée au service du conservatisme social. À l'échelle nationale, il est bien vrai que l'Amazonie a été arrimée au reste du territoire par un réseau de circulation cohérent et insérée dans l'économie du pays l'intégration nationale a été réussie. Mais à cette intégration territoriale nationale fait contraste une exclusion sociale et une fragmentation des territoires régionaux et locaux. 32Comme le montre le Nordeste, l'idée d'intégration nationale était largement contradictoire avec celle d'intégration régionale. Elle devait même entraîner la déstructuration du territoire régional et sa restructuration au sein d'un ensemble géographique plus vaste dans lequel il perdait une part de son identité. 33La politique d'aménagement lancée en 1960 par Juscelino Kubitschek et mise en œuvre dans le Nordeste par Celso Furtado avait consisté à développer la région à coup d'investissements publics et de soutiens publics aux investissements privés, mais elle appelait des transformations sociales - la réforme agraire et la redistribution du revenu - susceptibles de permettre la diffusion de la croissance à partir des agglomérations urbaines bénéficiaires des investissements initiaux, en particulier industriels. En d'autres termes, dans la prévision que les villes les plus importantes de la région - Recife, Salvador et Fortaleza - deviennent de véritables pôles de développement, il était attendu que les effets multiplicateurs des investissements se réalisent dans le Nordeste lui-même et l'entraînent dans une dynamique de croissance. Dans une formulation rawlsienne, ce scénario apparaît juste car il aurait optimisé les inégalités de façon que les régions de l'intérieur bénéficient des retombées des opérations conduites dans les espaces urbains du littoral et soient ainsi tirées vers le haut. Cette politique était en phase avec l'orientation de la Cepal - Commission économique des Nations Unies pour l'Amérique Latine - et avec les recommandations de l'Alliance pour le Progrès. C'est dire que, malgré le danger pour l'ordre social qu'y virent ses détracteurs les plus conservateurs, elle ne remettait nullement en cause la libre entreprise et le marché. Mais, l'idée forte qui l'inspirait était que la justice sociale constituait un facteur d'efficacité pour la modernisation du pays. 34C'est précisément contre cela que les forces armées ont pris le pouvoir en 1964. Il était inévitable que l'aménagement du territoire s'en trouve bouleversé, car la régulation étatique doit maintenir une cohérence entre l'action sur l'espace et le projet de société appliquer le principe du maximin dans l'aménagement du territoire aurait supposé que la promotion des plus modestes fût un objectif prioritaire. Or, à partir de 1964, c'est tout le contraire. Le coût social élevé - surexploitation des travailleurs et exclusion sociale - était tenu pour la rançon nécessaire au progrès. 10 Les micro-régions sont au Brésil des unités territoriales qui regroupent plusieurs municipes à des ... 35Pour ce qui est du Nordeste, la croissance extravertie fit fonctionner les villes du littoral bénéficiaires des investissements comme des enclaves. Elles tournent le dos à leur environ-nement géographique immédiat parce que celui-ci n'offre pas un milieu social, économique et culturel réceptif à la diffusion de la croissance. Elles regardent vers le centre économique national, São Paulo, d'où viennent les capitaux, avec lequel se sont nouées les relations interindustrielles et vers où se dirigent les ventes, quand ce n'est pas vers l'étranger. Ce phénomène a renforcé la dissymétrie de l'espace nordestin, bien que les autorités aient à plusieurs reprises appliqué des fonds publics pour dynamiser les villes de l'intérieur et les rendre capables de fixer les investissements productifs. Ce fut largement en vain ce que l'on est tenté d'appeler la rugosité de l'espace économique du Nordeste - sans doute un trait géographique caractéristique du sous-développement - y a fait obstacle. Des exemples locaux peuvent certes démentir un propos exagéré, mais la tendance lourde consiste bien en une fragmentation territoriale opérée entre d'une part les quelques points entraînés dans une expansion économique initiée et contrôlée par le Sudeste, et d'autre part, les vastes zones quasi ignorées par la croissance. Les chiffres le montrent, et notamment la part que les capitales estaduais occupent dans le produit intérieur brut de leurs États respectifs. Dans une étude réalisée à l'échelle des micro-régions des capitales10, J. R. Vergolino et A. Monteiro Neto 1997 ont mis en évidence le fait que les capitales nordestines ont confisqué la croissance Fortaleza représentait 53 % du PIB du Ceara en 1970... et 81 % en 1991, Recife 62 % de celui du Pernambouc en 1970… et 77 % en 1991, Salvador 44 % de celui de Bahia en 1970… et 67 % en 1991. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes, confirmés par ceux de São Luis dans le Maranhão, de Teresina dans le Piaui, de Natal dans le Rio Grande do Norte, de João Pessoa dans la Paraiba, de Maceio dans l'Alagoas et d'Aracaju dans le Sergipe ! 36En fait d'intégration nationale, celle-ci fut donc sélective à l'échelle régionale et mit en place un espace économique réticulaire qui exclut autant qu'il intègre... au point que, s'agissant du Nordeste, parler d'économie régionale a perdu beaucoup de son sens. Ailleurs, les effets régionaux et locaux de l'intégration nationale ont varié selon le degré de développement du territoire considéré. Dans le cas de l'État de São Paulo, la croissance s'est diffusée très largement contrairement à l'évolution mentionnée plus haut et selon la même source, la part du produit intérieur brut de la capitale a décru entre 1970 et 1991 70 % du PIB estadual en 1970 et 52 % en 1991. Cela ne signifie évidemment pas que la ville de São Paulo souffrirait d'un ralentissement économique, mais que le dynamisme de ce centre tire vers le haut les villes de l'intérieur pauliste, Campinas certainement, mais aussi São José dos Campos sur le rio Paraiba do Sul, Ribeirão Preto, São Carlos, Rio Claro et Presidente Prudente, parmi d'autres, sur le plateau occidental. Ce n'est pas tant la proximité qui vaut à l'État de Sao Paulo de partager le dynamisme de sa capitale. C'est l'environnement économique, social, culturel qui est porteur et qui offre un milieu favorable au développement. Toutefois, l'échelle locale mérite aussi examen car elle révèle des poches de pauvreté relative quasi oubliées par la croissance, telle la vallée du rio Ribeira, au Sud-Ouest de l'État. Comme pour parachever la démonstration, il existe des situations intermédiaires entre les deux situations jusqu'ici décrites, et c'est le Minas Gerais qui l'occupe. À la charnière des trois Brésil, le Brésil relativement développé du Sudeste c'est la Mata mineira, le Brésil déshérité du Nordeste c'est la vallée du rio São Francisco et plus encore celle du rio Jequitinhona et du Brésil pionnier c'est le Triangulo mineiro, à l'Ouest, le Minas Gerais a vu l'équilibre se maintenir entre son territoire et sa capitale Belo Horizonte qui concentrait 31 % du PIB mineiro en 1970 et 33 % en 1991. 37La fragmentation du territoire exprime-t-elle et renforce-t-elle la déchirure du tissu social ? C'est sans doute à l'échelle locale, et en particulier celle de l'espace urbain, que l'exclusion est la plus organisée par ceux qui voient dans le pauvre une menace et la plus ressentie par ceux qui en sont victimes. Il y aurait illusion à s'imaginer que les écarts sociaux étaient vécus autrefois dans la concorde. Fondé sur l'inégalité entre les hommes sans quoi l'ordre colonial n'aurait pas existé, le Brésil a gardé de ses racines une violence sociale plus ou moins contenue. Mais, on l'a vu, le système traditionnel voulait que cette violence intégre les catégories sociales défavorisées au lieu de les exclure. Le contrôle social du faible par le puissant passait par le lien social vertical qui mettait le petit dans la dépendance et sous la protection du grand. L'esclavage d'abord, le clientélisme ensuite assurèrent la cohésion sociale au bénéfice des élites. 11 En France, les agents immobiliers le savent et attirent la clientèle en présentant ces maisons sou ... 1 38Le clientélisme n'a pas disparu et c'est encore souvent à la bienveillance d'un puissant que l'on doit une aide, une terre, un travail ou un logement, autant de faveurs qui appellent en réciprocité une soumission déférente envers le bienfaiteur et parfois un bulletin de vote. Le temps, c'est vrai, réduit ces pratiques. Toutefois, si les formes anciennes de l'intégration sociale et territoriale subissent une érosion, laissent-elles place à une intégration fondée sur l'idée démocratique d'égalité des personnes génératrice de pratiques spatiales égalitaires ? La fragmentation de l'espace urbain suggère une réponse négative. L'espace privé se ferme à l'espace public assimilé à un danger parce qu’accessible à des individus libérés des formes anciennes du contrôle social. L'autre est alors perçu comme un risque, et la réaction normale est de s'en protéger. On ne compte plus dans les villes brésiliennes les condominios fechados, mot-à-mot les copropriétés fermées, c'est-à-dire des ensembles résidentiels totalement isolés de l'extérieur par une barrière physique. Ces condominios fechados ne sont pas le fait des seules classes aisées. Les classes moyennes adoptent souvent elles aussi ce mode d'habiter qui évite le contact avec l'espace public. Une autre évolution du marché immobilier urbain est significative depuis une vingtaine d'années la baisse relative du prix des maisons individuelles et la hausse du prix des appartements. A l'inverse du cas général où résider en ville, mais dans une maison11, est une marque recherchée de distinction, le souci de la sécurité déprécie les maisons individuelles dans les villes brésiliennes et accroit la demande pour les appartements dans les immeubles collectifs dont l'entrée est sévèrement filtrée12. 13 Il est vrai que certains condominios fechados sont de grande taille et constituent à eux seuls des ... 14 Mais pas pour toutes il ne faut pas tomber dans le fantasme dangereux d'une insécurité généralis ... 39L'échelle des quartiers pose la question de la ségrégation sociale. Le quartier comporte nécessairement de l'espace public et ne saurait se fermer comme un espace de copropriété privée13. Y a-t-il alors mixité sociale dans l'espace public, ce dernier étant vraiment public et permettant que les citadins se croisent dans un espace qui appartient à tous, ou au contraire, y a-t-il fermeture sociologique de cet espace dit public, le quartier, à défaut d'être abrité par une barrière physique, étant alors isolé des autres par une barrière sociale tacitement acceptée. C'est le risque de ghetto. Ghetto de riches parfois, quand le lieu est intimidant pour le pauvre au point qu'il n'ose y pénétrer. Ghetto de pauvres souvent quand la favela se ferme à l'intrus… Pendant longtemps, pourtant, les favelas n'étaient pas plus fermées que n'importe quel quartier populaire, malgré la rupture paysagère qui les désigne comme singulières. Or, pour certaines d'entre elles14, ce temps n'est plus depuis que des réseaux mafieux de la drogue en ont fait des zones de non-droit. 15 Les morros sont les collines à pentes fortes caractéristiques du site de Rio de Janeiro sur lesque ... 16 Les Brésiliens ont désigné l'évènement sous le nom d'arrastao. 40De nombreux espaces existent à l'évidence où se croisent les citadins de milieux sociaux différents. Mais les villes brésiliennes, éclatées et parcourues de frontières internes créant une sorte d'apartheid social, semblent moins que naguère des territoires de cohésion sociale. Que, le temps du carnaval et parce que l'inversion des rôles sociaux est dans la logique carnavalesque, les pauvres défilent et dansent dans les beaux quartiers, c'est une de ces plaisantes transgressions qui apportent du piment à la monotonie des jours ordinaires. Que les pauvres fréquentent aussi au quotidien l'espace des classes supérieures, comment faire autrement dans un système où ces dernières affichent leur supériorité par le nombre de leurs serviteurs et dépendants. En revanche, que les favelados descendent en nombre de leurs morros15 et troublent la tranquillité des plages élégantes des quartiers cossus - c'est ce qui est arrivé le dimanche 18 octobre 1992 sur la plage de l'Arpoador, à Rio de Janeiro16 - voilà qui est de trop pour les privilégiés, et le signe pour eux inquiétant que les pauvres adoptent des pratiques spatiales susceptibles de bousculer l'ordre social. 41A cet égard, l'usage laxiste au Brésil du mot marginal pour désigner celui qui se trouve au bas de l'échelle sociale est significatif. Le marginal, c'est par définition celui qui n'est pas intégré dans un groupe. Or, le système brésilien ayant produit beaucoup d'exclusion sociale, le marginal devient aussi celui qui a été marginalisé, qui a été exclu du partage des richesses et dont il y a par conséquent motif de se méfier. Le mot finit par désigner indistinctement le délinquant, celui que l'on soupçonne de le devenir un jour... et celui qui, dans la pauvreté, présente le risque de vouloir en sortir. Le modèle économique a écarté certains des fruits de la croissance. Le modèle urbain les exclut des lieux valorisés et les prive des pratiques qui feraient d'eux des citadins à part entière. Le langage, enfin, les stigmatise, et avec eux les lieux où on cherche à les confiner. Cercle vicieux que celui-ci, générateur de violence, et donc de peur, et donc d'enfermement derrière des barrières, et donc de frustrations et d'envie... et donc de violence. Dans un société atomisée où les formes anciennes d'encadrement social ont perdu de leur efficacité, beaucoup se sentent rejetés par un système qui les maintient dans la pauvreté et qui se méfie d'eux une situation d'anomie peut apparaître, où la règle a disparu et où la nécessité de la survie entretient au mieux la débrouille et au pire la loi de la jungle. 17 Ce fut le cas en 1975 lorsque le plan Proalcool encouragea la production d'alcool-carburant et ouv ... 18 Mot à mot, des mange-froid ils mangent un casse-croûte sur le lieu de travail. 42À la campagne aussi, la modernisation conservatrice a exercé des effets dévastateurs sur le lien social. Du simple point de vue de la rentabilité financière des exploitations agricoles, la moradia était devenue un système obsolète. Bien que les moradores n'occupent pour leur usage personnel que des surfaces limitées sur les sols les moins fertiles du domaine, les propriétaires veulent souvent récupérer ces parcelles, surtout les aides publiques permettent de les amender et des rendre productives à bon prix17. L'autre avantage du renvoi des moradores pour les propriétaires est de n'avoir pas toute l'année une main-d'œuvre utile seulement à certains moments du calendrier agricole. Dans ces conditions, les moradores ont été expulsés en masse. On les retrouve souvent dans les quartiers périphériques des villes petites et moyennes. Ils sont devenus des journaliers agricoles, des boias-frias18 recrutés le matin, lorsqu'il y a de l'embauche, et rentrés le soir chez eux sans l'assurance de travailler le lendemain. La précarité constitue leur grand problème. Trouver de l'embauche tous les jours est pour eux impossible c'est précisément parce qu'on n'a pas besoin d'eux en permanence qu'on les a renvoyés ! Il faut donc inventer des stratégies de survie, travailler dans l'agriculture ou en milieu urbain, le plus souvent dans le secteur informel et dans des statuts variables selon les opportunités du lieu et du moment. 43Il y a bien modernisation. Modernisation technique puisque des machines ont remplacé des bras. Modernisation sociale aussi puisque le salariat prend le relais des formes archaïques de gestion de la main-d'oeuvre. Mais modernisation conservatrice puisqu'elle ne se fait pas à l'avantage des plus modestes, et donc modernisation injuste puisqu'elle contrevient fondamentalement au principe du maximin. L'extrême flexibilité du travail en quoi consiste pour l'essentiel la modernisation conservatrice des campagnes produit donc de l'exclusion sociale, concrétisée par des populations rejetées partiellement du travail agricole et non insérées pour autant d'une façon stable dans le marché du travail urbain. Sans regretter la fin d'un système qui, à l'injustice de l'exploitation du travail ajoutait celle de la dépendance personnelle du travailleur, il s'agit de noter que le Brésil ne s'est pas modernisé en améliorant les perspectives offertes aux plus pauvres. Toutefois, comme toujours la réalité est complexe et, comme souvent, contradictoire. Le processus de déstructuration des anciens rapports de production et des organisations spatiales correspondantes est l'occasion pour les victimes d'une conscientisation accélérée ils sont devenus des travailleurs libres. Même si cette liberté est chèrement payée, du moins ne subissent-ils plus le pesant contrôle social qu'exerçait sur eux le propriétaire foncier. Cela érode le lien social vertical qui anesthésiait les mouvements sociaux. Cette déstructuration était sans doute nécessaire avant la non moins indispensable restructuration. Reste à examiner si cette structuration dynamique de la société et du territoire trouve aujourd'hui les conditions pour produire un ordre socio-spatial plus équitable. Conclusion Intégrer dans la justice ? 44L'instauration d'un régime démocratique en 1985 est le fait majeur du Brésil contemporain. On pourra toujours souligner les limites du processus permanence du clientélisme électoral, fragilité de la culture politique, compromis - certains diraient compromissions - auxquels obligent les alliances électorales, difficulté pour les plus pauvres d'exercer pleinement leurs droits de citoyens. Mais, par définition, comment la transition démocratique aurait-elle pu ne pas être une transition ? Comment pourrait-elle ne pas dépendre des inerties du passé autant que des innovations du présent ? Comment ne pas voir aussi que la démocratie progresse au fil des années, non seulement lors des échéances électorales, mais aussi dans la gestion quotidienne des affaires publiques, dans la participation citoyenne, dans le refus de la corruption par l'opinion, bref dans la culture politique. 45Au-delà des mesures sociales dont l'utilité et l'urgence ne sont évidemment pas en cause programme Faim Zéro, programme de la Bourse Famille, ce qui peut inquiéter, c'est plutôt la difficulté que rencontrent les forces politiques au pouvoir à faire émerger un modèle social et économique alternatif au modèle en vigueur antérieurement. Mais, une analyse qui se réclame de John Rawls doit l'affirmer clairement, restaurer la démocratie est en soi faire œuvre de justice. Au risque d'une tautologie, on peut dire en effet que, dans l'ordre politique, la justice a pour nom démocratie, dans la mesure où seul ce système reconnaît l'égalité intrinsèque des personnes en tant que citoyens et satisfait au premier principe de la justice comme équité. Que l'exercice effectif de la citoyenneté passe par les conditions matérielles d'accès aux biens matériels et à la culture est chose évidente, mais, au fond, n'est-ce pas aussi le propre de la démocratie qu'elle ne définisse pas a priori un modèle social et qu'elle invite les partenaires sociaux à en débattre ? 46Sur tous ces domaines qui relèvent de l'économie, de la sociologie et des sciences politiques, la géographie a plus à apprendre auprès des disciplines dont c'est le champ propre d'investigation qu'elle n'a à les renseigner. En revanche, le point sur lequel l'approche géographique peut avancer sa contribution réside dans l'organisation du territoire et les pratiques socio-spatiales rapportées à la justice sociale et à la reproduction sociale. Là encore, plusieurs échelles s'articulent les unes avec les autres. L'échelle nationale pose la question de l'ouverture extérieure et de la recomposition territoriale qui s'en ensuit. Brasilia voit dans le Mercosul l'échelle macrorégionale adéquate pour entrer dans la mondialisation en position de force et participer éventuellement à la future Alca - Association de libre commerce des Amériques - sans se soumettre au bon vouloir de Washington. Cette position implique de mettre à l'interne le territoire en cohérence avec les visées externes. Elle repose le problème que le régime militaire avait résolu d'une façon critiquée ici même faut-il privilégier les pôles d'excellence pour tenir son rang à l'extérieur, au risque de marginaliser une partie du territoire et de créer une société à deux vitesses, ou est-ce dans le consensus social, la réduction des inégalités et la cohésion territoriale que doit être trouvée une productivité systémique appuyée sur des pôles d'excellence et garante du succès international ? 19 L'interrogation présente quelque analogie avec le débat qui occupe les aménageurs français sur le ... 47Cette alternative met à l'épreuve l'idée de l'efficacité de la justice pour le développement faut-il consolider l'agglomération de São Paulo comme ville mondiale - la seule qui puisse prétendre à ce titre au Brésil - au risque de priver les autres métropoles des fonctions supérieures qui leur font défaut, ou faut-il au contraire délocaliser dans un souci de distribution équitable au risque d'affaiblir la capitale économique dans la compétition qu'elle livre face à ses concurrentes étrangères19 ? Il n'est pas prouvé, toutefois, que la question soit bien posée si on la limite à la recherche d'un point d'équilibre entre ce qui serait trop et ce qui ne serait pas assez de concentration ou de délocalisation. En effet, il ne s'agit pas d'un jeu à somme nulle qui enlèverait nécessairement à l'une, la périphérie, ce que l'on donnerait à l'autre, le centre. Il faut réfléchir au contraire à une structuration dynamique d'un territoire nécessairement différencié, par laquelle le renforcement des points forts profite aussi aux points faibles et y améliore les conditions de vie. C'est penser l'aménagement du territoire en termes de principe de réparation et de maximin et c'est affirmer que la géographie peut servir aussi à produire la justice. L'important est que l'allocation des dépenses publiques au profit des plus pauvres, hommes et territoires, ne constitue pas une sorte d'aumône consentie à une périphérie déshéritée, mais un investissement à long terme qui permette à cette dernière de réagir aux impulsions du centre. 48La mise en œuvre de ce principe requiert la diffusion sociale et spatiale du développement. C'est ici que les échelles régionales et locales reprennent leur place. En effet, si l'objectif est bien que les effets d'entraînement se diffusent dans l'ensemble du corps social et permettent que la métropole principale joue son rôle de pôle de développement pour le territoire dans son entier, il faut que l'environnement socio-économique y offre les conditions favorables. La configuration territoriale à inventer n'est donc pas une simple péréquation de ressources dont le montant total serait inchangé. Bien au contraire, ce doit être le moyen pour que le produit total augmente. 49La solidarité sociale et territoriale, disons socio-spatiale, est nécessaire d'abord parce qu'elle juste, mais aussi parce qu'elle est productive c'est l'efficacité de la justice. 5012 Il apparaît naturel de se prémunir contre les intrusions indésirables et les codes installés aux portes des immeubles en France relèvent du même souci. Une différence majeure au Brésil, les gardiens d'immeubles sont très souvent des gardes armés.

comment les inégalités sociales portent atteinte à la cohésion sociale