AAndré Segalat succède R. Belin qui exercera ses fonctions pendant six ans, de 1958 à 1964 ; ensuite, Jean Donnedieu de Vabres sera secrétaire général du Gouvernement de 1964 à 1974. C’est à lui que succède Marceau Long en 1975, conseiller d’État après six mois d’intérim de Jacques Larché. Puis, se sont succédé Jacques Noté/5. Retrouvez A. Nouschi. Archives du Gouvernement général de l'Algérie : . Inventaire de la série HH et des millions de livres en stock sur Amazon.fr. Achetez neuf ou d'occasion Dansune France marquée par les derniers soubresauts de la guerre d’Algérie, après l’échec de l’attentat du Petit-Clamart, le général de Gaulle propose aux Français un référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel. L’Assemblée vote une motion de censure contre le gouvernement. Mais le général maintient celui-ci et dissout l’Assemblée Auparavant les textes officiels de l’Algérie sous domination française étaient publiés au « Bulletin Officiel du Gouvernement Général de l’Algérie », créé en mil huit cents soixante-treize. » Baziz Algérie mon amour. La périodicité du JORA est irrégulière. Le journal officiel parait en fonction de la disponibilité de la matière. L’un des plus importants numéros de l LesFrançais débarquent en Algérie. Le 14 juin 1830, les troupes françaises débarquent près d'Alger en vue d'une petite expédition punitive destinée à restaurer le prestige du gouvernement. Mais, de malentendu en malentendu, on va déboucher sur une conquête longue et brutale et sur une tragédie coloniale qui va meurtrir la France Algérie(Période coloniale). Archives Voir les notices liées en tant qu'auteur Titre(s) : Archives du Gouvernement général de l'Algérie. Série H, affaires musulmanes et sahariennes. Répertoire [Texte imprimé], par G. Esquer, et E. Dermenghem, Publication : Alger : impr. de E. Imbert, 1953. Description matérielle : In-8°, 174 p. Identifiant de la notice : GQJa. Etat-civil Formalités administratives Comment obtenir une copie d’acte ? Actes d’état-civil "européens" d’Algérie - 1830 à 1904 Déclaration de naissance Mariage Mariage Questions fréquentes relatives au mariage Divorce Déclaration de décès Changement de nom et prénom Changement de prénom Changement de nom Personnes disparues - généalogie Recherche d’un parent Recherches généalogiques ou dans les archives militaires haut de la page L’Algérie, d’après l’Atlas de l’Annuaire diplomatique et consulaire de la République française pour 1924 et promulgation, le 24 octobre 1870, du décret Crémieux qui naturalise » les indigènes israélites », ou plutôt les reconnaît collectivement comme citoyens, constitue une date clé dans l’histoire des Juifs d’Algérie, et plus largement dans celle de la colonisation française, tant il a pesé sur les discours et les pratiques des autorités coloniales françaises vis-à-vis de la population musulmane. Pourtant cinq ans plus tôt, en 1865, le sénatus-consulte du 14 juillet avait traité conjointement du sort des indigènes », musulmans ou juifs algériens, au regard de la nationalité française musulmans et juifs étaient français, la sujétion ottomane ayant été supprimée avec la conquête et l’annexion, mais ils ne jouissaient pas des droits des citoyens français car ils avaient un statut juridique personnel spécifique, d’origine religieuse. Pour devenir pleinement citoyens, précise le sénatus-consulte, ils doivent en faire la demande, se plier, comme les étrangers, à une procédure de naturalisation dont l’attribution demeure une prérogative de l’État. C’est l’échec de cette procédure de naturalisation qui explique la nécessité d’une mesure plus radicale comme le décret de 1870. 2Forte de ce constat, l’historiographie s’est peu intéressée aux candidats juifs à cette procédure dans la mesure où le décret Crémieux semble l’avoir rendue caduque en intégrant collectivement les Juifs algériens dans la citoyenneté française. Cependant, la définition des bénéficiaires du décret de 1870, précisée en 1871, est assez restrictive et n’inclut ni les Juifs des territoires conquis après 1870 ni, plus nombreux encore, les immigrés juifs, marocains ou tunisiens, qui se saisissent de façon assez importante de ce dispositif juridique. Par là même, l’étude des naturalisations des Juifs d’Algérie se révèle être une entrée originale et particulièrement riche pour donner à voir dans sa diversité la population juive algérienne sous la enquête malaisée3À quelles sources étudier les naturalisations des Juifs algériens ? Il n’existe pas, dans les archives ou dans des répertoires administratifs, de listes des naturalisés spécifiquement algériens tenues par les autorités coloniales françaises [1]. D’ailleurs, aux Archives nationales, les dossiers de naturalisations des Algériens, musulmans ou juifs, sont rangés au milieu de la multitude de dossiers de naturalisations d’étrangers et ne peuvent être consultés en bloc. 4Il a donc fallu employer une méthode un peu fastidieuse, consistant à recenser et à relever dans le Bulletin officiel du Gouvernement Général de l’Algérie BO, dépouillé intégralement de 1865 à 1919, l’ensemble des noms d’Algériens indigènes musulmans » et juifs non naturalisés, de Marocains et de Tunisiens dans les listes des naturalisés publiées chaque année. Cette source est très riche puisque, outre le nom, sont mentionnés les dates et lieux de naissance, la profession et le lieu de résidence. À ce stade, le statut des naturalisés indigène israélite, indigène musulman, marocain, tunisien, mozabite a pu être déterminé avec assurance, qu’il soit mentionné explicitement ou qu’il puisse être inféré par l’indication du lieu de naissance. Le principal défaut de cette méthode est qu’elle part des naturalisations effectives et non des dépôts de candidature, de sorte qu’on ne peut évaluer le taux de refus ni, plus ennuyeux, l’existence de biais sélectif dans la population des naturalisés par rapport à celle des simples demandeurs. 5En choisissant de se focaliser plus particulièrement sur la population des naturalisés juifs, en particulier sur les Juifs marocains et tunisiens qui sont largement majoritaires dans le groupe des protégés français, la tâche devient plus ardue. J’ai fait le choix de repérer manuellement les Juifs parmi les naturalisés marocains et tunisiens en me fiant uniquement à des considérations onomastiques. Or celles-ci sont parfois incertaines dans la mesure où certains noms de famille sont communs aux deux populations juive et musulmane et où l’usage d’un prénom arabe est également fréquent [2]. En cas de doute, la décision a été prise de retirer le nom de la liste. Ainsi, entre 1865 et 1920, 892 naturalisés juifs ont-ils été repérés, dont 138 indigènes » l’ensemble total de la population juive naturalisée étant bien entendu plus importante puisqu’elle inclut le plus souvent les enfants, voire les épouses des naturalisés, ce qui n’apparaît pas, le plus souvent, dans les décrets [3]. 6En complément, un petit échantillon a été constitué à partir de la base de données afin de procéder à des demandes de consultation de dossiers individuels de naturalisation l’objectif est alors non seulement de repérer les critères d’évaluation des candidatures par les administrations algériennes, mais plus encore d’apprécier la signification des catégories professionnelles mentionnées dans les listes nominatives du naturalisations des Juifs algériens avant le décret Crémieux7Jusqu’au décret de 1870 le statut juridique des Juifs d’Algérie n’est guère différent de celui des musulmans. L’acte de capitulation du 5 juillet 1830 garantit aux habitants de l’Algérie », musulmans ou juifs, le libre culte et le respect de leurs traditions religieuses. En d’autres termes, les Juifs algériens demeurent justiciables des juridictions rabbiniques, suivant le droit mosaïque. En revanche rien n’est précisé, tout d’abord, quant à leur nationalité. Indigènes », les Juifs algériens ne sont plus des sujets ottomans. Sont-ils pour autant des Français ? Les autorités françaises se gardent bien dans un premier temps de le préciser. Bien entendu, cette question se pose tout autant sinon plus pour les musulmans, au nombre de 2 300 000 en 1856, que pour les Juifs algériens, 21 400 à la même date [4]. C’est pour tant autour du cas d’un jeune Juif algérois que la question de la nationalité des indigènes est de nouveau posée. Plus précisément, à l’occasion d’une affaire touchant au privilège accordé aux seuls Français d’exercer certaines professions, en l’occurrence celle d’avocat, la cour d’appel d’Alger prend une décision qui a rencontré un certain écho. 8Élie Léon Enos [5] demande en 1861 son inscription au Conseil de l’Ordre des avocats d’Alger. Celui-ci rejette sa demande dans son arrêté du 28 novembre 1861 au motif qu’il n’est pas Français car n’étant pas né sur le sol de la France ou de parents français » [6]. Enos fait appel et obtient satisfaction par un arrêt du 24 février 1862 confirmé par la Cour de cassation le 15 février 1864. Le texte du jugement est instructif à plus d’un titre pour comprendre les ressorts de la nationalité française en terre coloniale [7]. Il nous donne également un certain nombre d’informations sur le jeune avocat licencié en droit, et donc ayant séjourné en métropole puisque l’École de droit d’Alger n’existe pas encore [8], Enos a été inscrit au tableau de l’Ordre des avocats près la cour impériale de Paris du 12 juillet 1858 au 6 novembre 1861. Se révèle ainsi l’existence d’une petite élite juive algérienne, bachelière et formée en métropole, susceptible de contester, dans les arènes judiciaires ou politiques, les discriminations courantes en Algérie de la part de l’administration coloniale mais aussi du fait d’organisations privées le barreau d’Alger ou de particuliers. 9Pour la première fois de façon aussi tranchée, la cour d’appel d’Alger affirme, en réponse à l’appel d’Enos, que les indigènes d’Algérie ont la qualité de Français en vertu des principes généraux du droit international appliqué aux cas d’annexion. Cependant pour éviter toute confusion et de peur de donner trop de poids et de droits à cette qualité, le jugement précise que les indigènes ne jouissent pas des droits de citoyens français en raison du maintien de leurs lois propres le respect du culte reconnu depuis 1830 Tout en n’étant pas citoyen français, l’indigène musulman ou israélite est Français ». La cour d’appel donne cependant raison à Enos et ordonne sa réinscription sur le tableau de l’Ordre, arguant que la qualité de citoyen n’est pas requise, au contraire de celle de Français, pour exercer la profession d’avocat. 10La décision de 1862 a fait grand bruit parce qu’elle reconnaissait, pour la première fois aussi clairement, la nationalité française des sujets coloniaux, juifs ou musulmans. Sa portée est définitivement entérinée en 1865 avec le sénatus-consulte du 14 juillet qui en reprend les grands principes, en y ajoutant une innovation de taille la possibilité ouverte aux indigènes » d’accéder à la pleine citoyenneté française, moyennant la perte de leur statut personnel. Le statut d’indigène se rapproche donc celui des étrangers, qui sont d’ailleurs sujet de l’article 3 du sénatus-consulte un indigène peut déposer une demande de naturalisation – terme impropre stricto sensu puisqu’il est déjà Français, mais courant pendant toute la période. C’est en raison de cette ouverture que le texte de 1865 a souvent été considéré comme libéral, s’inscrivant dans la politique arabe de Napoléon III [9]. 11Cependant force est de constater que, dans son ensemble, cette poli tique d’assimilation par la naturalisation a été un échec. Seuls 1 730 indigènes » ont été naturalisés entre 1865 et 1919 sur 32 521 naturalisations y compris celles des étrangers européens, surtout au regard des près de 4 900 000 indigènes musulmans » recensés en 1921 [10]. Chez les Juifs algériens également la procédure ne semble pas avoir rencontré un franc succès. Seules 137 naturalisations sont prononcées entre 1865 et 1870 pour près de 34 000 Juifs en 1866 ; parmi elles, celle de Léon-Elie Enos, âgé alors de 34 ans, en compagnie de ses frères Abraham et David, par décret du 6 juillet 1867. Les raisons de cet échec sont certainement multiples. La première, qui s’est imposée aux commentateurs de l’époque comme aux historiens contemporains, est l’attachement des Juifs algériens comme des musulmans à leur statut personnel et aux juridictions religieuses appliquant les préceptes de leur foi. Une deuxième explication est peut-être à trouver dans la réticence des autorités coloniales françaises elles-mêmes, qui ne semblent pas avoir favorisé, ni même informé largement les intéressés sur cette nouvelle procédure. 12Quoi qu’il en soit, à y regarder de plus près, le nombre des naturalisations de Juifs algériens n’est pas totalement négligeable si on le rapporte à celui des naturalisations d’ indigènes musulmans », au nombre de 99 sur la même période pour une population près de quatre-vingts fois supérieure tableau 1.Tableau 1Les naturalisations des sujets et protégés coloniaux entre 1865 et 1919Les naturalisations des sujets et protégés coloniaux entre 1865 et 1919Remarques Ce tableau reprend les indications présentes dans les Bulletins. Le groupe des Marocains contient donc indistinctement des musulmans et des Juifs. Autres » africains », étranger israélite ou musulman autre que marocain ou naturalisés juifs algériens sont répartis sur les trois départements algériens, conformément à la forte implantation urbaine de la communauté juive algérienne 39 vivent à Alger 28 %, 17 à Sétif 12,3 %, 18 à Mascara 13 %, 12 à Mostaganem 8,7 %. L’analyse des occupations des naturalisés est assez délicate à mener, dans la mesure où leurs mentions dans le BO sont imprécises, variables dans l’ensemble du corpus, et donc sujettes à caution. L’étude des dossiers individuels révèle qu’il s’agit des professions déclarées par le candidat à la naturalisation au moment du dépôt du dossier, sans que cette première déclaration ait été vérifiée et recoupée. Les activités déclarées des Juifs naturalisés sont en tout cas variées commerce et négoce occupent la grande majorité des naturalisés, respectivement 18 % et 17 %, les pourcentages s’élevant à 26 % et 25 % si on se limite à la population des Juifs naturalisés pour lesquels l’activité professionnelle est indiquée ; mais on trouve égale ment parmi eux un agent de police, un instituteur, un étudiant, un clerc d’huissier, des propriétaires mais également des artisans spécialisés dans l’orfèvrerie et la bijouterie, ainsi que dans le textile [11]. 14Une activité retient particulièrement notre attention dans la mesure où elle semble spécifique aux Juifs algériens par opposition aux tunisiens ou aux marocains les interprètes, militaires ou judiciaires, constituent 14 % des activités recensées. Cette importance des interprètes dans le corpus analysé peut s’interpréter de deux façons. Tout d’abord elle témoigne de la présence nombreuse des Juifs algériens dans le corps des interprètes, et ce depuis la conquête [12]. Population frontière, intermédiaires naturels entre les Européens et les musulmans, maîtrisant l’arabe, les Juifs sont ainsi recrutés prioritairement pour accompagner les troupes françaises dans les opérations de conquête. Une fois la colonisation établie, ils se recyclent dans les tribunaux comme auxiliaires de justice. Ensuite, par leur position privilégiée aux côtés des différentes autorités françaises, les interprètes sont particulièrement exposés à l’intérêt que peut représenter une naturalisation, ou du moins sont-ils informés de cette possibilité. 15Pour autant les Juifs indigènes ne sont pas les seuls Juifs en Algérie à demander et obtenir leur naturalisation entre 1865 et 1870 des Juifs étrangers, en particulier marocains 163 et tunisiens 21 complètent les naturalisations juives. C’est précisément tout l’intérêt de cette étude des naturalisations que de nous donner à voir cette immigration juive, marocaine et tunisienne, trop souvent négligée dans les travaux sur les populations d’Algérie [13]. 16Le tableau 2 témoigne de l’importance du nombre des immigrés juifs marocains dans les naturalisations prononcées, puisqu’il surpasse celui des naturalisations des Juifs indigènes avant le décret Crémieux. Les Juifs originaires de Tétouan, pour la plupart immigrés dans les années 1860 après les guerres hispano-marocaines, forment d’ailleurs le gros de cette population 104 naturalisés, soit 63 % des Marocains naturalisés. Ils sont installés dans le département d’Oran, à Mascara pour la majorité 41, soit 39,5 % des Tétouanais, ou dans une moindre mesure à Oran 13,4 %, à Saïda 13,4 %, à Mostaganem 8,7 %, à Nemours 8,7 %, à Sidi-Bel-Abbès 8,7 %. Les autres Marocains naturalisés proviennent surtout des villes de la côte marocaine Mogador/Essaouira pour 11 d’entre eux, soit 6,7 % des Marocains naturalisés, mais également Tanger. Autant qu’on puisse en juger sur ce premier échantillon dont les informations sont encore parcellaires [14], la population des immigrés juifs marocains ne semblent pas se distinguer des autochtones par leurs occupations tableau 3Tableau 2Les naturalisations des Juifs d’Algérie entre 1865 et 1919Les naturalisations des Juifs d’Algérie entre 1865 et 1919Tableau 3Activités professionnelles des Juifs d’Algérie naturalisés entre 1866 et 1870Activités professionnelles des Juifs d’Algérie naturalisés entre 1866 et 1870Une réponse à l’échec des naturalisations des indigènes israélites » le décret Crémieux17Dès les débuts de la colonisation de l’Algérie, en accord avec les demandes répétées du Consistoire central des israélites de France, le gouvernement de Louis-Philippe tente de soustraire la minorité juive à l’influence des rabbins algériens jugés fanatiques » et illettrés » par leurs pairs français [15]. C’est ainsi que les ordonnances du 28 février 1841 et du 26 septembre 1842 confient la juridiction des Israélites aux tribunaux français. Une autre ordonnance, celle du 9 novembre 1845, organise le culte communautaire sur le mode métropolitain en créant un Consistoire israélite algérien à Alger et deux consistoires provinciaux, à Oran et à Constantine avec des rabbins métropolitains, parachevant ainsi l’ assimilation » juridique des Juifs algériens. 18Avec la publication du sénatus-consulte en 1865, les libéraux et surtout les Juifs de France tablent sur le fait que les Juifs algériens vont entamer massivement des démarches pour accéder à la citoyenneté française, d’autant que les consistoires les exhortent à le faire [16]. Or nous venons de voir qu’il n’en a rien été. Devant cet échec, plusieurs voix s’élèvent, en France comme en Algérie, pour demander l’attribution collective et autoritaire de la citoyenneté aux Juifs algériens. Ainsi les conseils généraux des trois provinces d’Algérie se prononcent-ils chaque année de 1865 à 1869 en faveur de la publication d’un tel décret [17]. Pour autant il ne faudrait pas croire qu’il y ait unanimité sur la réforme. À la commission de l’Algérie au Sénat, créée par un décret du 7 mai 1869, le premier président de la cour d’Alger Pierrey s’oppose au projet d’accorder la citoyenneté en bloc, mais propose, afin de faciliter les naturalisations individuelles, que les Juifs d’Algérie soient soumis à l’avenir au Code civil [18]. Une telle idée rompt avec la logique du sénatus-consulte, lequel exclut la citoyenneté au nom d’un statut personnel distinct. Elle fait donc long feu, malgré le consensus dont elle bénéficie dans la commission. Mais elle témoigne déjà de l’hostilité, voire de la crainte que suscite, chez les hommes de pouvoir en poste en Algérie, l’extension des droits électoraux en faveur des indigènes israélites » [19]. 19Reprenant un projet préparé dans les dernières années du Second Empire, Adolphe Crémieux, avocat et ancien ministre de la Seconde République mais également président de l’Alliance israélite universelle, promulgue, en tant que ministre de la Justice du gouvernement de la Défense nationale, le décret qui porte aujourd’hui son nom, en octobre 1870. Le texte déclare donc citoyens français les israélites indigènes » des départements de l’Algérie et les soumet juridiquement au Code civil. L’importance du décret réside dans le caractère massif et obligatoire du changement de statut. 20Le décret Crémieux, qui est présenté aujourd’hui comme l’accomplissement de l’œuvre émancipatrice et républicaine française, a pourtant rencontré la résistance des milieux juifs algériens hostiles à l’abandon du droit mosaïque, et plus particulièrement des rabbins algériens traditionnels face à l’intrusion du judaïsme français [20]. Dans les milieux administratifs ou juridiques de la Troisième République, il demeure une référence paradoxale, plus exactement un contre-modèle, celui d’une naturalisation de masse et non contrôlée. Il est par exemple évoqué par les juristes du ministère de la Justice pendant la Première Guerre mondiale pour disqualifier toute proposition de loi suggérant d’ouvrir la citoyenneté française collectivement aux Algériens, ou à certaines catégories d’entre eux. 21Le décret Crémieux suscite aussi l’opposition des militaires et des administrateurs de la Colonie dès sa promulgation ; le commissaire extraordinaire de la Colonie de 1870, Charles du Bouzet, nommé par Crémieux, lui est par exemple très hostile [21]. Sous le gouvernement Thiers, une campagne continue à la Chambre incite le gouvernement à prononcer son abrogation, campagne relayée en Algérie par le nouveau gouverneur général, l’amiral de Gueydon, et par la presse. Le décret est cependant conservé, mais sa portée est limitée par un autre décret promulgué le 7 octobre 1871 sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur Félix Lambrecht. Ce décret, aujourd’hui largement oublié, vise à préciser la catégorie de population directement concernée par le décret Crémieux, à savoir les indigènes israélites. Étant donné l’importance de ce décret dans la définition de l’indigène algérien et son usage ambigu ultérieurement, il est utile de citer exactement la teneur de ses prescriptions. 22Art 1er. Provisoirement et jusqu’à ce qu’il ait été statué par l’Assemblée Nationale sur le maintien ou l’abrogation du décret du 24 octobre 1870, seront considérés comme indigènes, et à ce titre, demeureront inscrits sur les listes électorales, s’ils remplissent d’ailleurs les autres conditions de capacité civile, les israélites nés en Algérie avant l’occupation française ou nés, depuis cette époque, de parents établis en Algérie à l’époque où elle s’est produite [22]. 23Est ainsi défini, en droit, ce qu’est un indigène israélite » c’est un israélite rien n’est dit sur la définition explicite de la catégorie d’israélite, contrairement à ce qui va advenir sous Vichy qui est né en Algérie avant la conquête ou dont les parents sont nés en Algérie avant la conquête. Cette étrange référence à un droit du sol historique, au temps où l’Algérie n’était pas française, va fonder plus généralement la définition, pour les juristes, de l’indigène, y compris de l’indigène musulman. 24On insiste peu sur la portée de ce décret. Première conséquence cependant les Juifs immigrés du Maroc ou de Tunisie en sont exclus. En ce qui les concerne, la procédure de naturalisation ouverte par le sénatus-consulte demeure la seule voie possible pour accéder à la citoyenneté française. Par ailleurs, le décret Lambrecht s’est avéré fondamental lors de l’annexion des territoires du M’Zab en 1882. Les Juifs mozabites, ces nouveaux Juifs algériens, bénéficiaient-ils des dispositions du décret Crémieux ? Le gouverneur général Tirman se montre hostile à cette solution et soutient l’idée, dans sa correspondance avec le ministère de la Justice du 11 juin 1884, que les Juifs mozabites ne sont pas nés en Algérie avant la conquête, puisqu’en 1830, le M’Zab ne faisait pas partie de l’Algérie [23] ! De sorte qu’en vertu des principes édictés par le décret de 1871, les Juifs de M’Zab ne peuvent être considérés comme citoyens français, et conservent par conséquent leur statut personnel mosaïque. Cette interprétation, agréée par le ministère de la Justice, est dès lors reprise, à quelques exceptions près, par la doctrine juridique, qu’elle soit algérienne ou métropolitaine. Les Juifs du M’Zab sont demeurés exclus de la citoyenneté française jusqu’à l’indépendance, ce qui n’a pas été sans poser à nouveau de sérieux problèmes, en 1962, lorsqu’il a fallu décider s’ils étaient Français ou Algériens [24]. 25C’est également en s’appuyant sur une application littérale du décret Lambrecht que des maires élus sur des programmes anti-juifs » ont cherché à radier les Juifs des listes électorales de leurs communes, à la fin du XIXe siècle ou dans les années 1930 comme à Sidi-Bel-Abbès [25], à défaut de pouvoir directement abroger le décret Crémieux. En effet, dans ces communes, les services municipaux ont exigé des électeurs juifs qu’ils apportent la preuve de leur naissance, ou de celles de leurs ascendants, en Algérie avant 1830. Tout défaut de preuve équivaut alors à une tentative de fraude et entraîne la radiation. Il va sans dire que la plupart du temps, et à fortiori à la fin des années 1930, une telle preuve est impossible à apporter puisque l’Algérie était dépourvue d’état civil au moment de la conquête et que les actes de notoriété, plus ou moins acceptés, deviennent difficiles à établir à partir des années Juifs marocains et tunisiens entre droit du sol et naturalisation26À partir du décret Lambrecht, la question des naturalisations juives concernent donc au premier chef les immigrés tunisiens et marocains, et dans une proportion beaucoup plus faible les mozabites tableau 2. Rappelons, avant d’aller plus loin dans l’étude de ces naturalisations, que la question du statut des immigrés du Maroc et de Tunisie se pose de façon accrue à partir des années 1880, et après la grande loi sur la nationalité de 1889. En effet, les Marocains et les Tunisiens, qu’ils soient juifs ou musulmans, sont des étrangers, au contraire des indigènes ». Leur statut de protégé français 1881 pour les Tunisiens, 1912 pour les Marocains n’y change rien ils conservent leur nationalité tunisienne ou marocaine et sont donc, en droit, semblables aux étrangers européens. Or la présence de ces derniers, de plus en plus nombreux sur le sol algérien [26], conduit les autorités coloniales en Algérie à s’inquiéter de cette population étrangère, de nationalité essentiellement espagnole et italienne, susceptible d’exacerber les appétits impérialistes des autres puissances européennes. 27Le problème est que depuis le Code Napoléon, le droit du sol a été supprimé au profit du droit du sang la naissance sur le sol de la France et a fortiori de l’Algérie n’entraînait plus l’accès à la nationalité française. Dès 1884, le gouverneur général Tirman envoie donc au gouvernement un projet de loi élaboré par l’École de droit d’Alger visant à accorder la nationalité française aux enfants d’étrangers nés sur le sol algérien [27]. Si le projet n’est pas retenu, l’idée n’est pas rejetée pour autant dans les sphères gouvernementales. Lorsqu’est discutée et votée la grande loi sur la nationalité de 1889 qui réintroduit le droit du sol dans le droit français, l’Algérie est incluse dans le bénéfice de la loi l’enfant d’étranger né en Algérie devient français et citoyen s’il réside encore en Algérie à sa majorité. Grâce à la loi de 1889, la minorité européenne se trouve intégrée dans le groupe des citoyens français dès la seconde génération. L’algérianisation » de la population européenne est en cours, d’autant qu’à partir de 1896, le nombre des Européens nés en Algérie est devenu supérieur à celui des immigrés. 28Qu’en est-il des immigrés issus des pays musulmans du Maghreb, et au premier chef du Maroc et de Tunisie ? Le recensement de 1886 a en effet dénombré 4 893 Tunisiens et 17 445 Marocains résidant en Algérie [28]. La loi de 1889 leur est-elle applicable ? La Cour de cassation, par plusieurs arrêts du 22 avril 1896, la plupart concernant des Juifs nés en Algérie de parents tunisiens ou marocains [29], juge qu’aucun texte ne justifie une exception à son application en faveur des étrangers des pays musulmans. En effet, le texte de la loi, rédigé en France suivant des problématiques métropolitaines, ne précise pas la religion ou l’origine nationale des bénéficiaires et ne peut, en conséquence, autoriser l’exclusion des immigrés des pays musulmans. Cependant, l’administration coloniale n’a appliqué le texte aux étrangers des pays musulmans qu’avec la plus grande répugnance, au motif qu’elle ne peut accorder aux Marocains ou aux Tunisiens des droits qui demeurent fermés aux indigènes algériens, qu’elle considère alors comme plus proches » culturellement des Français. La multiplication des arrêts de la Cour de cassation, uniformes quant à leur interprétation de l’application du droit du sol aux Marocains et Tunisiens, confirme également, a contrario, les résistances administratives. 29L’analyse de la base de données des naturalisés marocains et tunisiens, reconstituée à partir du Bulletin Officiel du gouvernement général de l’Algérie, tend à confirmer qu’effectivement, quasiment aucun des Marocains ou Tunisiens naturalisés n’a été en mesure de réclamer le bénéfice de la loi de 1889. En effet, parmi ceux qui sont nés en Algérie, on ne retrouve que trois cas, des Marocains, naturalisés et majeurs après 1889 puisque l’attribution de la nationalité n’avait lieu qu’à la majorité sur plus de 916 naturalisations recensées d’étrangers issus de pays africains. Sur ces trois cas, aucune donnée précise ne vient éclairer cette anomalie ». Cependant plusieurs éléments pourraient être avancés pour l’expliquer soit ils n’étaient momentanément plus résidents en Algérie à leur majorité, soit ils avaient renoncé dans un premier temps, à leur majorité, au bénéfice de la loi. On ne peut exclure une dernière hypothèse, celle de l’erreur manifeste ou volontaire de l’administration coloniale qui instruit les dossiers de naturalisations pour des étrangers déjà citoyens français en vertu de la loi. 30Quoi qu’il en soit, qui sont les Juifs marocains et tunisiens naturalisés après 1870 ? Tout d’abord, notons que les Juifs constituent la grande majorité des naturalisations marocaines et tunisiennes, respectivement 87 % et 68 % Tableaux 1 et 2. Tout en restant assez minoritaires par rapport à l’effectif total des Marocains et des Tunisiens résidant en Algérie, le nombre de naturalisations n’en est pas pour autant négligeable 580 Juifs marocains et 156 Juifs tunisiens ont obtenu une naturalisation entre 1865 et 1919. Si les flux de naturalisations sont continus pendant toute la période, on observe néanmoins un pic dans les années 1891-1895 respectivement 115 Marocains et 36 Tunisiens naturalisés, alors même que les effectifs totaux d’immigrés marocains et tunisiens stagnent, voire régressent [30]. Peut-être peut-on y voir un effet de la loi de 1889 qui, en accordant la nationalité française aux enfants nés en Algérie, incite les autres membres de la famille, plus âgés ou nés au Maroc et en Tunisie, à suivre la voie de la francisation. 31De façon plus générale, ainsi qu’on l’avait déjà remarqué pour les premières naturalisations de Juifs indigènes », la naturalisation ne renvoie pas en effet à une démarche individuelle, mais bien la plupart du temps à une logique familiale. Non seulement les épouses se joignent aux demandes de leurs maris, conformément au souhait, sur ce point, de l’administration française qui préfère une unité de juridiction civile au sein des couples, mais bien souvent frères et parents font des démarches conjointes. On peut en avoir une première intuition à la lecture de la liste des noms de naturalisés, les mêmes noms originaires des mêmes villes se retrouvent souvent mentionnés à proximité les uns des autres. 32La lecture des dossiers de naturalisation tend à confirmer cette première impression. Ainsi par exemple, dans le dossier de naturalisation de Josué Hassan, Juif marocain né le 20 janvier 1861 à Mascara dans une famille originaire de Tétouan et naturalisé par décret le 26 janvier 1891, le procès-verbal d’enquête dressé par la mairie de Mascara fait état de sa situation familiale 33M. Hassan Josué a son père naturalisé Français négociant à Mascara, un frère cadet naturalisé Français, employé à Mascara, une sœur cadette, célibataire, sans profession, domicilié à Mascara, plus à Saïda, Laetitia Hassan, sa belle-mère et tante, sans profession ; Isaac Nahon, son beau-frère et cousin naturalisé Français, négociant, membre du Conseil municipal de Saïda. Au Maroc à Tétuan, Josué Hassan, son cousin germain, propriétaire, consul d’Es pagne, du Portugal et d’Italie, marié avec enfants à Tanger, Abraham Tolédano, son oncle maternel, négociant marié avec enfants [31]. 34Dans leur évaluation de la candidature de Josué Hassan, les différents services consultés mairie de Mascara, préfecture d’Oran, service des Affaires indigènes du Gouvernement général, insistent sur les attaches » du postulant avec la France habitant l’Algérie depuis sa naissance, lettre de recommandation du sous-secrétariat d’État des Colonies. La naturalisation antérieure de membres de sa famille plus ou moins proche est dès lors soulignée comme une preuve ultime de sa loyauté ». 35Cette dimension familiale, souvent négligée dans les études sur la naturalisation, conduit à nuancer l’explication classique du faible nombre des naturalisations juives et musulmanes par l’attachement au statut personnel religieux et la peur de l’ostracisme. Cette logique impliquerait que seuls les marginaux, les outsiders au sein de leur communauté entament une procédure aussi stigmatisante. La preuve est faite ici que la naturalisation met en jeu des logiques collectives et familiales, renforçant d’ailleurs les liens matrimoniaux. La naturalisation n’est pas une procédure anodine. Le postulant doit d’abord avoir été informé des démarches à suivre, et sa démarche sera plus aisée s’il a eu vent d’une expérience positive passée parmi ses connaissances ou son entourage familial. Par ailleurs, dans le dossier il doit décliner son état civil, et surtout sa situation de famille avec un acte de notoriété à l’appui. Impliquant toute la famille, la naturalisation est logiquement facilitée si l’ensemble de la parentèle agit de concert. 36Par ailleurs, d’autres informations peuvent être dégagées de l’étude statistique des naturalisations juives en Algérie. En premier lieu, on retrouve l’importance de l’immigration juive tétouanaise qui représente toujours 36 % des naturalisés juifs marocains après 1870. Les autres naturalisés marocains proviennent de l’ensemble du territoire marocain, avec une légère surreprésentation des villes côtières et royales marocaines dotées de communautés juives importantes Mogador, Marrakech, Tanger et Fez autour de 5 % chacune. Les naturalisés tunisiens, quant à eux, sont très largement originaires de Tunis 66 %. 37De même, est confirmée l’implantation urbaine et différenciée des populations marocaine et tunisienne en Algérie. Les Marocains se concentrent quasi exclusivement en Oranie 512 sur une population de 579, soit 88 %, 6 % demeurant dans le département d’Alger, 4 % dans celui de Constantine, le reste dans les Territoires du Sud. Les Tunisiens, en toute logique, ont surtout investi le Constantinois proche 59 %, suivi des départements d’Alger 23 % puis d’Oran 19 %. Dans le département d’Alger, la capitale attire la grande majorité des populations migrantes 72 % des 119 Juifs naturalisés, marocains et tunisiens, installés dans le département. En Oranie, les principales villes d’implantation des Juifs marocains sont Oran 27 % des Marocains naturalisés du département, Mascara 16,6 %, Saint-Denis du Sig 10,3 %, Sidi-Bel-Abbès et Saïda 7 % chacune. Les Tunisiens se retrouvent surtout à Souk-Ahras 35 % des Tunisiens résidant dans le département de Constantine, à Bône 29 %, et dans une bien moindre mesure à Guelma 11 % et à Constantine 8 %, c’est-à-dire surtout dans des communes situées à la frontière tunisienne. Ces implantations frontalières semblent témoigner de la persistance des liens et des allers et retours entre l’Algérie et le pays d’origine, où bien souvent une partie de la famille demeure encore. Dans le cas de Josué Hassan, cité plus haut, le rapport municipal a pris soin de préciser ses oncles et cousins résidant encore au Maroc. 38Cette permanence des relations et des circulations entre l’Algérie d’accueil et le Maroc ou la Tunisie d’origine peut également être déduite de la surreprésentation des métiers de commerce et de négoce dans les occupations des Juifs naturalisés près de 39 % d’entre eux ont une activité liée au commerce et à la boutique, 21 % étant déclarés plus spécifiquement négociants tableau 4. La progression, surtout à partir de 1886, de l’artisanat, domaine d’activité traditionnel des Juifs du Maghreb [32], traduit peut-être la sédentarisation sur la terre 4Activités des Juifs naturalisés entre 1866 et 1919Activités des Juifs naturalisés entre 1866 et 1919Remarque le pourcentage renvoie à la part de l’activité professionnelle dans l’ensemble des activités également la part des militaires. Activité majoritaire des naturalisés indigènes musulmans 27 % sur toute la période, avec des pointes à 47 % dans la première décennie du XXe siècle et égale ment prépondérante chez les naturalisés musulmans protégés, elle est négligeable avant 1895, mais représente ensuite plus de 15 % des Juifs naturalisés. Ces militaires indigènes ou assimilés, qu’ils soient tirailleurs infanterie ou spahis cavalerie, sont, jusqu’en 1913, exclusivement des engagés volontaires, et peuvent espérer, en cas de naturalisation, accéder aux grades de capitaine ou de chef de bataillon [33]. Comment comprendre le changement de 1895 ? Très certainement, cette augmentation est le signe d’un engagement plus important des Juifs marocains ou tunisiens dans l’armée française. Le mystère n’est cependant pas résolu pourquoi cet accroissement des engagements volontaires ? Peut-être peut-on y lire un des effets paradoxaux de la loi sur la nationalité de 1889 qui a précisément lié l’extension de la nationalité française avec le droit du sol et l’universalité du service militaire pour tous les citoyens français la loi est votée de façon concomitante. Après 1889, les dossiers de naturalisation de métropole sont évalués au regard de la contribution éventuelle du postulant à l’effort militaire par sa personne ou celle de ses fils. Dans l’Empire, la conquête a repris, cette fois-ci orientée précisément vers la Tunisie et le Maroc, puis vers l’Afrique noire. Les forces militaires ressentent à nouveau la nécessité de recruter des intermédiaires, des interprètes aussi bien linguistiques que culturels, rôle qui était précisément dévolu aux Juifs pendant la conquête de l’Algérie. L’histoire des Juifs engagés, algériens, marocains ou tunisiens dans l’armée d’Afrique reste cependant encore à écrire … 40La question de la nationalité des Juifs d’Algérie pendant la colonisation française est trop souvent réduite à l’évocation du décret Crémieux de 1870. Or c’est tout d’abord faire peu de cas des nombreuses affaires judiciaires portées par des Juifs, indigènes » ou étrangers, qui ont durablement façonné la définition et l’extension des droits civiques des populations non européennes, le cas du jeune avocat Léon-Elie Énos, à l’origine de la jurisprudence de 1862 et du sénatus-consulte de 1865, étant de ce point de vue exemplaire. 41Plus encore, le décret Crémieux n’a pas clos la controverse sur la citoyenneté des Juifs algériens, non seulement parce que son image émancipatrice colportée par la suite est mise à mal par la résistance des milieux traditionnels juifs algériens, mais également parce que sa portée n’a pas été générale. Limité par le décret Lambrecht de 1871, il laisse de côté de nombreux Juifs exclus les Marocains, les Tunisiens, et les Mozabites. 42L’étude des naturalisations des Juifs d’Algérie permet donc de mesurer à la fois la portée et les limites du décret Crémieux. Elle permet également de dresser un tableau de l’immigration juive marocaine et tunisienne en Algérie, son implantation, ses occupations, sa diversité. Demeure cependant indéterminée la question de la représentativité des naturalisés juifs au regard de la population juive immigrée générale, dans la mesure où l’outil habituellement si précieux du recensement s’avère ici inutile, aucune distinction n’étant faite entre les catégories de Juifs et de musulmans marocains/tunisiens. Notes [1] Sur les naturalisations des indigènes musulmans », je me permets de renvoyer à mon article, La citoyenneté française au miroir de la colonisation étude des demandes de naturalisation des sujets français » en Algérie coloniale », Genèses, dossier Sujets d’Empire », 53, 2003. [2] Valérie Assan, L’exode des Juifs de Mascara, un épisode de la guerre entre Abd-El-Kader et la France », Archives Juives, Revue d’histoire des Juifs de France, 2005/2, p 18. [3] La liste établie par Marc Aboudarham pour le Cercle de généalogie juive donne le chiffre de 402 Juifs indigènes » naturalisés de 1865 à 1870 en application du sénatus-consulte de 1865 AIU, CGJ, B 111. S’appuyant à la fois sur le Bulletin officiel des actes du gouvernement général et sur le Bulletin des lois, Valérie Assan en décompte 410, parmi lesquels 146 indigènes » Valérie Assan, Les Consistoires israélites d’Algérie au XIXe siècle. L’alliance de la civilisation et de la religion », thèse préparée à Paris 1 sous la dir. de Catherine Nicault, 2010, p. 641-643. [4] Kamel Kateb, Européens, Indigènes » et Juifs en Algérie 1830-1962. Représentations et réalités des populations, Paris, PUF/INED, 2001, p. 30 chiffres reconstitués à partir de l’Annuaire statistique de l’Algérie, 1932. [5] Élie Léon Enos 1833-1885 fut le premier Juif indigène » inscrit au Barreau d’Alger [ndlr]. [6] Archives nationales de France ci-après AF-AN, BB 30/1741, Rapport de l’Inspecteur général adjoint des services judiciaires au Garde des Sceaux en date du 8 juillet 1946 au sujet de la législation sur la nationalité en Algérie, Tunisie et Maroc. [7] Robert Estoublon, Bulletin judiciaire de l’Algérie. Jurisprudence algérienne de 1830 à 1876, Alger, Adolphe Jourdan éditeur, 1890 année 1862, p. 12. [8] Laure Blévis, Une université française en terre coloniale. Naissance et reconversion de la Faculté de droit d’Alger 1879-1962 », Politix, dossier La colonie rapatriée », n° 76, 2006. [9] Charles-Robert Ageron, L’évolution politique de l’Algérie sous le second Empire », dans Politiques coloniales au Maghreb, Paris, PUF, 1972, p. 70. [10] Kamel Kateb, op. cit., p. 120 à partir de l’Annuaire statistique de l’Algérie année 1932, déc. 1933. [11] De ce point de vue la population semble assez proche de celle étudiée par Valérie Assan, op. cit., à Mascara. [12] Alain Messaoudi, Renseigner, enseigner. Les interprètes militaires et la constitution d’un premier corpus savant algérien » 1830-1870 », Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 41, 2010/2. [13] Voir cependant Jacques Taïeb, Les Juifs d’Algérie 1830-1962 démographie et société », Archives juives. Revue d’histoire des Juifs de France, 29/2, 1996, pp. 100-112 ; id., Combien y avait-il de Juifs en Algérie 1830-1962 ? », Revue des études juives, 156 3-4, juil. – déc. 1997, pp. 463-367 [ndlr]. [14] 22 % des Juifs naturalisés entre 1865 et 1870 n’ont aucune activité professionnelle mentionnée dans les bulletins. [15] Pierre Birnbaum, Sur la corde raide. Parcours juifs entre exil et citoyenneté, Paris, Flammarion, 2002, p. 117. Sur ce point et les suivants, voir également David Nadjari, L’émancipation à “marche forcée ” les Juifs d’Algérie et le décret Crémieux », Revue Labyrinthe, 28, 2007-3 ; Valérie Assan, Les Consistoires israélites d’Algérie au XIXe siècle. L’alliance de la civilisation et de la religion », Paris, Armand Colin, 2012 ; Simon Schwarzfuchs, Les Juifs d’Algérie et la France 1830- 1855, Jérusalem, Institut Ben-Zvi, 1981 ; Michael Robert Shurkin, French Nation Building, Liberalism and the Jews of Alsace and Algeria, 1815-1870, Ph. D. Yale University, 2000. [16] Michel Abitbol, La citoyenneté imposée du décret Crémieux à la guerre d’Algérie », in Pierre Birnbaum dir., Histoire politique des Juifs de France, Paris, Éditions de la FNSP, 1990, p. 198. [17] Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France, Paris, PUF, 1968, p. 14. [18] Archives du ministère de la Justice ci-après FR-AMJ, C 5827. Séance du 10 janvier 1870. [19] FR-AMJ, C 5827. Dans la commission, cela a été dénoncé explicitement par l’avocat général de Cléry qui met en garde contre une mesure qui donnerait à la population israélite un pouvoir important dans la mesure où ses membres formeraient le cinquième des électeurs, voire le tiers dans certaines régions comme Oran. [20] D. Nadjari, op. cit., p. 86. [21] Cet aspect apparaît très nettement dans l’entretien qu’il a eu avec la commission d’enquête parlementaire sur les actes du gouvernement de la Défense nationale le 24 juillet 1873 Carton C/2901 Archives Nationales. Il publie en 1871 une pétition à l’Assemblée nationale en vue du retrait du décret Crémieux. [22] Journal Officiel de la République Française JO, 3e année, lundi 9 octobre 1871. [23] FR-AMJ, Carton 54 111, Documentation, Bureau de la Nationalité. Émile Larcher, professeur à l’École de droit d’Alger, contesta cette interprétation du décret Lambrecht dans son Traité élémentaire de Législation Algérienne, Paris-Alger, Éd. Arthur Rousseau 1911 1re édition 1903. [24] Todd Shepard, 1962. Comment l’indépendance algérienne a transformé la France, Paris, Payot, 2008 [1re édition 2006]. [25] Laure Blévis, Une citoyenneté française contestée. Réflexion à partir d’un incident antisémite en 1938 », in La justice en Algérie 1830-1962, Association française pour l’histoire de la justice, Paris, La Documentation Française, 2005. [26] Les résultats du recensement de l’Algérie de 1886 dénombrent 219 071 Français d’origine ou naturalisés pour 203 154 Européens étrangers. [27] Jean-Claude Vatin, Exotisme et rationalité à l’origine de l’enseignement du droit en Algérie 1879-1909 », in Vatin dir., Connaissances du Maghreb, Paris, CNRS, 1984 ; Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Grasset, 2002, p. 231. Pour l’ensemble du dossier, voir Centre des archives nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, F80/2043. [28] Kamel Kateb, Européens, Indigènes » et Juifs en Algérie …, op. cit., p. 173 à partir de Statistique générale de l’Algérie, 1926. [29] Cour de cassation, chambre civile, arrêt du 22 avril 1896, Revue Algérienne de Législation et de Jurisprudence RA, 1896, 2e partie, pp. 203 et suivantes. Voir aussi Cass. civ 22/3/1905 – RA 1906-2-204 ; Cass Civ 22/3/1903, RA, 1906-2-11 ; Cass Cri 4 mai 1922. RA, 1927-2-166. Cf. enfin dans Archives nationales ci-après AN, BB30/1741, le rapport de l’Inspecteur général adjoint des services judiciaires au Garde des Sceaux, le 8 juillet 1946. [30] 14 600 Marocains et 2 300 Tunisiens sont recensés en Algérie, selon K. Kateb, op. cit., p. 173. [31] FR-AN, dossier de naturalisation de Josué Hassan, 11522X90 BB11/2499. [32] Maurice Eisenbeth, Les Juifs de l’Afrique du Nord. Démographie et onomastique. Alger, 1936, rééd. Cercle de généalogie juive, Paris, 2000 [33] Gilbert Meynier, L’Algérie révélée. La guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle, Genève, Droz, 1981, p. 86. 1 L’un des journaux francophones algériens les plus lus, Liberté, a consacré un dossier spécial à ce ... 2 Le journal algérien El Moujahid, journal rangé du côté du pouvoir, soulignait par exemple à propos ... 3 La confédération des cAmûr de la région d’Ain Sefra se serait constituée progressivement entre le ... 4 Sid Ahmad Majdûb, l’ancêtre fondateur de la tribu, serait né approximativement entre 1490 et 1493 ... 5 Pour une analyse du concept de tribu, cf. Jacques Berque, Qu’est-ce qu’une tribu nord-africaine ... 1La question tribale est réapparue en Algérie depuis les révoltes survenues en Kabylie en avril 2001. Celles-ci ont mis au devant de la scène publique un nouvel interlocuteur étatique la coordination des arouch, dairas et communes – le terme arouch carûsh étant généralement employé en Algérie pour désigner les tribus sing. carsh. Suite à ces événements, de nombreux articles journalistiques sont parus au sujet de la tribu1, et depuis lors, on assiste tout au moins dans la presse à une mise en exergue et peut-être à une survalorisation du fait tribal dans ce pays2. Parmi les questions que pose ce regain d’intérêt pour la tribu, il en est une qui nous intéresse particulièrement celle concernant le démantèlement tribal. Celle-ci se pose avec acuité d’autant plus qu’il était admis jusque récemment que le régime colonial avait détruit purement et simplement les tribus en Algérie. Or, si la déstructuration tribale fut, durant la période coloniale, une mesure voulue pour les départements civils du Nord, il apparaît qu’il n’en fut pas de même pour les territoires du Sud. L’organisation en tribus y fut en effet maintenue et les clivages tribaux y furent exacerbés. Dans cet article, on tentera de revisiter les thèses du démantèlement tribal en Algérie, pour en souligner les réalités mais aussi les limites, puis on prendra le cas des mesures prises par les autorités coloniales à l’égard de deux tribus appartenant à l’annexe d’Ain Sefra les cAmûr3 et les Awlâd Sid Ahmad Majdûb4. On comprendra donc que notre propos n’est pas de faire l’histoire sociale de ces tribus5, mais de comparer les mesures prises par les autorités coloniales à l’égard de la question tribale selon qu’il s’agit des départements civils du Nord ou des territoires du Sud. À propos du démantèlement tribal en Algérie thèses et nuances 2Le démantèlement de l’ordre tribal, qui s’effectue en Algérie entre 1830 et la Première Guerre mondiale environ, est une réalité qu’on ne peut nier mais qu’on se doit de nuancer. Celui-ci s’est effectué de plusieurs manières par destruction physique, par dépossession foncière, en discréditant les structures d’autorité traditionnelles et en imposant de nouvelles normes culturelles aux populations autochtones. Destructions physiques 6 En parlant de système, j’ai à l’esprit l’ensemble des relations liant les tribus entre elles, qu’i ... 7 Smaïl Aouli, Ramdane Redjala et Philippe Zoummeroff, Abd el-Kader, Paris, Fayard, 1994. 3En dépit des conflits internes notamment ceux entre tribus makhzen et tribus raya ou siba, ou simplement entre tribus proches, le monde tribal de l’Algérie ottomane avait une certaine cohérence et pouvait être vu comme un système assez complexe et fonctionnel6. Cet ordre tribal fut bouleversé par les transformations induites par le régime colonial et en premier lieu par son avant-bras l’armée. Celle-ci prit les premières mesures d’une politique qui, à moyen terme, devait inéluctablement déstabiliser l’organisation antérieure. Elle le fit en combattant les tribus hostiles à la présence française en Algérie, mais elle le fit aussi en permettant et/ou en suscitant l’accentuation des divisions et des conflits inter et intra-tribaux. Par exemple, la résistance menée par l’émir Abd el-Kader, à la tête des tribus Hasham, Bani cAmr et Gharaba, fut anéantie en moins de quinze ans, de 1832 à 1847, du fait d’affrontements directs avec l’armée française, mais aussi en raison des conflits entre tribus – notamment ceux opposant l’armée constituée par l’émir Abd el-Kader et les tribus makhzen makhzan des Dûayr et des Zmala7. 8 Radouane Ainad Tabet, Histoire d’Algérie, Sidi Bel Abbés de la colonisation à la guerre de libér ... 9 Ibid., p. 53-63. 10 Ibid., p. 61. 4Dans l’Ouest algérien, les tribus qui opposèrent une résistance furent par ailleurs prises en tenaille entre l’armée française et celle du sultan du Maroc, le sultan Abd Al Rahman. Ainsi, le sultanat du Maroc participa au démantèlement tribal en taillant en pièces » les Bani cAmr8. L’historien Redouane Ainad Tabet9 dresse, en effet, un tableau du devenir pathétique de cette grande tribu. Auparavant si puissante dans l’Ouest algérien plus précisément dans la région de Sidi Bel Abbés, cette tribu devait subir de plein fouet les répercussions de son engagement aux côtés de l’émir Abd el-Kader. Celles-ci sont si effroyables que, pour reprendre les propos de l’auteur, au lendemain de la reddition de l’émir, en 1847, La “verte tribu” n’est plus que l’ombre d’elle même10. » D’autres actes de résistance, les soulèvements des Awlâd Sidi Shaykh à partir de 1863, la révolte d’El Mokrani 1871 notamment, furent mis en échec par l’armée française. On comprendra, dans ces conditions, les répercussions des pertes humaines résultant de ces batailles sur les différentes tribus certaines disparurent, d’autres furent complètement déstabilisées. Ces défaites n’aidaient en rien la cohésion tribale parce qu’elles avaient pour conséquence de diminuer l’autorité des personnes et familles leaders. La tribu comme groupe politique subissait de la sorte un fâcheux contrecoup. 5Toutefois, jusqu’à un certain point, les guerres ne furent pas les causes décisives du démantèlement tribal. Elles modifièrent les rapports de forces entre tribus, en affaiblissant certaines et en renforçant d’autres, mais ne changèrent pas pour l’essentiel l’organisation tribale car elles ne lui substituèrent aucune autre organisation sociale. En fait, les changements survenus dans le domaine de la propriété foncière – sénatus-consulte de 1863, loi Warnier de 1873 visant la liquidation de la propriété communautaire des tribus et le processus de dépossession foncière – eurent beaucoup plus d’impacts que les guerres. Sénatus-consulte et dépossession foncière 6Les lois foncières furent en effet autrement efficaces. Il est intéressant de lire à ce propos le témoignage du capitaine Vayssière. En tournée chez les Namamsha, tribu de l’Est algérien, pour évaluer les conséquences du sénatus-consulte, il rapporte le fait suivant Les cheikhs et les kebars sont tous venus me trouver, commentant et déplorant la nouvelle. La consternation peinte sur leurs visages, plusieurs versaient des larmes. Ils m’ont dit “Les Français nous ont battus, ils ont tué nos jeunes hommes et nous ont imposé des contributions de guerre. Tout cela n’était rien, on guérit de ses blessures. Mais la constitution de la propriété individuelle et l’autorisation donnée à chacun de vendre ses terres qui lui seraient échues en partage, c’est l’arrêt de mort de la tribu.” » 7Il conclut ainsi 11 Repris du journal algérien Liberté du 6 août 2001, dossier spécial sur la tribu en Algérie. Le sénatus-consulte de 1863 est, en effet, la machine de guerre la plus efficace qu’on ait pu imaginer contre l’état social indigène et l’instrument le plus puissant et le plus fécond qui ait pu être mis aux mains de nos colons. Grâce à lui, nos idées et nos mœurs s’infiltreront peu à peu dans les mœurs indigènes, réfractaires à notre civilisation, et l’immense domaine algérien, à peu près fermé jusqu’ici, en dépit des saisies domaniales, s’ouvrira devant nos pionniers11. » 12 Jean-Claude Vatin, L’Algérie politique, Histoire et Société, Paris, Presses de la Fondation nation ... 8À partir du sénatus-consulte de 1863, un ensemble de lois fut en effet mis en place en Algérie pour favoriser la propriété individuelle, principalement au profit des colons et des grandes sociétés capitalistes. Jean-Claude Vatin12 remarque, en reprenant le bilan dressé par Charles Robert Ageron qu’ entre 1871 et 1919 près d’un million d’hectares 897 000 ont été livrés aux colons. […] Les musulmans avaient perdu, en 1919, 7 millions et demi d’hectares, que l’État et les particuliers, les grandes sociétés capitalistes, s’étaient partagés. » 13 Karl Marx, Le système foncier en Algérie », dans Sur les sociétés précapitalistes extraits du c ... 14 Karl Marx dit à ce propos que l’institution de la propriété foncière était aux yeux du bourgeoi ... 15 Augustin Berque, Écrits sur l’Algérie, Aix-en-Provence, Édisud, 1986, p. 28. 9Karl Marx avait analysé vers 1879 le processus de dépossession foncière mis en œuvre en Algérie. Il considérait à ce propos que les terres des plateaux nord-africains étaient auparavant la possession indivise des tribus nomades qui les parcouraient, que la propriété tribale y était transmise de génération en génération et qu’elle ne se modifia qu’à la suite des changements suivants 1. fractionnement graduel de la tribu en plusieurs branches ; 2. inclusion de membres appartenant à des tribus étrangères13 ». Il montre ensuite comment, particulièrement à partir de la loi Warnier, la spoliation des terres tribales s’effectue, avec notamment la confiscation et la mise en vente des terres des tribus suspectées de rébellion. Ces lois avaient un double objectif instituer la propriété privée14, mais aussi détruire les pouvoirs des tribus. Augustin Berque, dans un article datant de 1919, dira du sénatus-consulte de 1863 qu’il visait comme but politique l’amoindrissement des grandes familles indigènes et la dislocation de la tribu15 ». 16 Lahouari Addi, De l’Algérie précoloniale à l’Algérie coloniale, Alger, OPU, 1985, p. 21-22. 17 D. Daumas, Les populations indigènes et la terre collective de tribu en Tunisie, Tunis, 1912. 18 Henry de Montéty, Une loi agraire en Tunisie, Cahors, 1927, p. 30. 10La question du statut des terres que parcouraient les tribus nomades a fait l’objet de diverses analyses. Karl Marx estimait qu’elles étaient les possessions indivises des tribus nomades qui les parcouraient. Lahouari Addi avance quant à lui que, bien que la terre de la tribu soit un terrain collectif, la propriété privée des biens et des terres a existé de manière prédominante dans les montagnes où les terres communales étaient réduites et, dans les plaines, où les troupeaux étaient possédés privativement16. Certaines études menées à propos du système foncier tribal en Tunisie, avant le régime du Protectorat, attestent que les terres collectives » appartenaient bien souvent aux tribus sous la forme de propriétés indivises. Certaines d’entre elles possédaient même des titres de propriétés17. Celles-ci avaient donc bien des propriétaires reconnus mais elles étaient juridiquement impartageables et elles furent à tort considérées comme des terres de jouissance collective appartenant à l’État18. On peut considérer que ces conclusions sont applicables au système foncier des tribus d’Algérie qui, par ailleurs, subissait, comme en Tunisie, l’influence de la régence ottomane. 19 Sur ce point cf. notamment la partie Le marché autorégulateur et les marchandises fictives tra ... 11Outre ce fait, l’assignation d’un caractère marchand de la terre semblait poser des problèmes bien plus cruciaux aux membres des tribus. C’est en effet la constitution de la propriété individuelle et l’autorisation donnée à chacun de vendre ses terres » qui effraient réellement les cheikhs et les kebars » et non pas tant le fait qu’elles soient partagées. En fait, et il me semble qu’il s’agit là d’une des particularités du statut de la terre en milieu tribal celle-ci n’a pas de caractère marchand. Bien qu’elle ait des propriétaires reconnus, du fait notamment du droit de propriété lié à l’usage – on sait que telle terre appartient à telle tribu, à tel segment et en fin de compte à telle famille notamment parce qu’il ou elle en fait usage – , elle ne peut toutefois être vendue ou achetée. C’est d’ailleurs une invention du capitalisme que de poser la terre comme une catégorie marchande19. Les shaykh et les kbar le savaient mais ne purent cependant peser sur le cours de la politique coloniale et le processus de dépossession foncière. 20 Pour un point de vue rapide du phénomène de dislocation du nomadisme, lire M’Hamed Boukhobza, L’ag ... 12La politique de dépossession foncière eut par ailleurs un impact sans précédent sur l’activité économique traditionnellement et peut-être trop schématiquement liée au monde tribal le nomadisme pastoral. Dans un ouvrage au sous-titre évocateur De l’ordre tribal au désordre colonial, M’Hamed Boukhobza nous montre en effet comment le nomadisme activité économique et genre de vie et avec lui le mode de vie tribal traditionnel » furent complètement altérés par les mesures coloniales et notamment par la politique de dépossession foncière20. Selon cet auteur, les personnes vivant sous la tente à la veille de la colonisation représentaient près des deux tiers de la population totale 67%, alors qu’elles ne représentaient plus, dans les années soixante/soixante-dix, qu’environ 500 000 personnes sur une population totale de près de 20 millionsd’âmes, soit 2,5%. En même temps que s’effectue la dépossession foncière, c’est toute l’économie tribale qui semble péricliter. Ainsi, les tribus qui auparavant vivaient des produits de l’agro-pastoralisme, et plus particulièrement du pastoralisme, se voient dans l’incapacité de reproduire les bases matérielles de leur propre existence. M’Hamed Boukhobza montre aussi comment les pratiques de l’cachaba mouvement d’estivage sud-nord et de l’cazaba mouvement d’hivernage nord-sud, véritables socles de l’économie nomade et tribale, ne peuvent plus se perpétuer du fait des mesures prises par le gouvernement colonial. 21 Jacques Berque, Le Maghreb entre deux guerres, Paris, Seuil, 1962, p. 121-136. 13Vingt ans plus tôt, Jacques Berque remarquait aussi que la disparition de la tribu résultait des politiques empêchant la reproduction de leur système économique. Même lorsque certaines tribus n’étaient pas atteintes directement, elles en subissaient inéluctablement les contrecoups en raison de la nature extensive et complexe de leur activité économique21. Ce sont en définitive toutes les conditions matérielles d’existence des tribus qui tendaient à disparaître. Face à la paupérisation qu’entraînent ces réformes, de nombreux individus se voient contraints de quitter leur tente, leur village et surtout leur tribu pour trouver du travail en ville. Ce faisant, génération après génération, la tribu devient un lointain souvenir. Discrédit des instances d’autorité traditionnelles et affrontements culturels 22 Augustin Berque, Écrits sur l’Algérie, Aix-en-Provence, Édisud, 1986. 14Dans ce processus de démantèlement des tribus, quelle a été la politique de déstructuration des instances d’autorité tribale ? L’idéologie coloniale faite au nom du progrès » tendait en effet à remettre en cause les pratiques dites traditionalistes » des populations autochtones. Augustin Berque22 explique à ce propos comment les structures traditionnelles de l’autorité tribale furent de plus en plus discréditées du fait des mesures prises par le gouvernement colonial. En même temps qu’il opérait la dislocation de la propriété tribale, le gouvernement colonial tendait à transformer les tribus, selon le principe de diviser pour mieux régner », de manière à les rendre moins efficientes. Il énumère en outre les différentes mesures réduisant l’influence des chefs et détruisant les anciennes structures d’autorités. Par exemple, l’autorité coloniale bureaux arabes puis gouvernement civil discrédita l’organisation tribale en réorganisant les tribus et en désignant de nouveaux chefs qui n’avaient pas forcément d’autorité suffisante et qui même parfois étaient complètement étrangers à la tribu. Elle le fit aussi en limitant leurs droits à percevoir les taxes que les chefs tribaux récoltaient auparavant, ainsi qu’en restreignant leurs pouvoirs respectifs. En outre, avec l’extension du territoire civil, les chefs de tribus devenaient peu à peu de simples agents administratifs. En discréditant les structures d’autorité tribale et en refaçonnant selon son bon vouloir les différentes tribus, le régime colonial détruisait les fondements de l’ordre et de la cohésion propre aux différentes tribus. Cela fonctionna tellement bien, qu’à la fin du xixe siècle, les tribus djûad tribus aristocratiques et guerrières avaient complètement disparu. Cette situation donna, pendant un certain temps, plus de poids aux fractions maraboutiques, avant que celles-ci ne fussent à leur tour affaiblies. 23 Yvonne Turin, Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale écoles, médecines, religion, 1830 ... 15Pendant près d’un siècle, et particulièrement depuis la mise en place du gouvernement civil, s’est effectué un vrai travail de fond tendant à transformer la société algérienne. Ces affrontements culturels », pour reprendre l’intitulé de l’ouvrage d’Yvonne Turin23, étaient dictés par des objectifs idéologiques et politiques d’un côté le gouvernement essayant d’imposer de nouvelles valeurs pour asseoir son autorité, de l’autre les structures locales tentant de préserver un minimum d’autonomie vis-à-vis du gouvernement colonial. L’objectif de ces affrontements était de soustraire l’indigène » à sa tribu et, par la suite, de l’insérer dans cette nouvelle société faite au nom du progrès. Les politiques menées dépossession foncière, discrédit des structures traditionnelles et affrontements culturels ont globalement réussi dans la mesure où l’organisation tribale semble de nos jours avoir disparu en Algérie, alors que pendant des siècles elle était la base de la société. Les grandes tribus du Nord et du Tell ont disparu. Les Bani cAmr, les Hasham, les Dûayr et autres grandes tribus n’existent plus. Ce qu’il en reste maintenant, c’est un lointain souvenir. Il ne faut pas penser pour autant que l’histoire soit univoque et en y regardant de plus près les thèses présentées doivent être nuancées. Les limites des thèses de la déstructuration tribale 16La dépossession foncière s’est certes principalement effectuée au Nord et dans le Tell, mais dans les territoires du Sud, sous administration militaire, les tribus arabophones ou berbérophones ont été assez préservées de ces transformations. Ainsi, dans sa Monographie du Territoire d’Ain Sefra, le capitaine Mesnier, chef du bureau de comptabilité des oasis sahariennes, affirme que 24 Capitaine Mesnier, Monographie du territoire d’Ain Sefra, Oran, Imprimerie L. Fouque, 1914 biblio ... Le sénatus-consulte […] n’a été appliqué qu’exceptionnellement en territoire militaire […] La propriété individuelle n’a pas été constituée en territoire militaire car le sol propre au pâturage seulement ne comporte qu’une jouissance collective ; s’il était partagé entre les indigènes, il s’élèverait constamment entre eux des contestations24. » 25 Lahouari Addi, De l’Algérie…, p. 57. 17En effet, la dépossession foncière n’a pas ou presque pas eu lieu dans les territoires du Sud, du fait notamment de l’aridité de la terre, et bien qu’en 1926, une loi ait abrogé la distinction entre territoire du Sud et territoire du Nord dans le régime de la propriété foncière25, celle-ci ne concerna en pratique que les territoires à vocation agricole notamment les jardins des oasis et non pas les zones à vocation pastorale. 26 C’est le cas des approches de Jacques Berque, M’Hamed Boukhobza, Lahouari Addi et Ali Merad Boudia ... 27 Maurice Godelier, L’idéel et le matériel, Paris, Fayard, 1984. 28 Augustin Bernard et Napoléon Lacroix, L’évolution du nomadisme en Algérie, Alger, Adolphe Jourdan, ... 18Par ailleurs, la désorganisation du système économique qu’est le pastoralisme est souvent analysée comme s’il s’agissait de la déstructuration des organisations tribales26. Or, d’une part, il me semble que la tribu ne se réduit pas à un système économique bien que celui-ci soit important. Analyser la tribu du seul point de vue de son système économique, c’est en effet oublier la part de l’idéel, et c’est tomber dans une lecture sommaire de Karl Marx que penser l’organisation sociale découlant stricto sensu de l’infrastructure27. Actuellement, dans le Hautes Plaines et au Sahara, les clivages tribaux se retrouvent en milieu urbain et les solidarités tribales ne suivent plus forcément les spécialisations professionnelles. La tribu comme mode d’organisation sociale n’est pas strictement le corrélat d’un mode de production ou d’un système économique spécifique. D’autre part, la capacité d’adaptation du pastoralisme, dans les Hautes Plaines notamment, a été sous estimée ou du moins a-t-on pensé que celui-ci ne pouvait que décliner. C’est oublier que, durant la période coloniale, il existait, tout au moins dans les rapports portant sur le nomadisme et la colonisation, une volonté de laisser les steppes des Hautes Plaines aux pasteurs et de favoriser l’agriculture seulement dans le Tell28. Par ailleurs, les stratégies pastorales se sont adaptées aux diverses conjonctures et se sont transformées en raison des nouvelles techniques et moyens mis à disposition des éleveurs. Par exemple, l’introduction en masse, à partir des années soixante-dix, de véhicules de transports de cheptel les fameux GAK notamment a modifié les pratiques des éleveurs sans pour autant mettre fin au pastoralisme, ni aux liens de solidarité tribale. Bien au contraire, ceux-ci sont souvent utilisés dans le cadre de ces nouvelles pratiques. 19L’association tribu/pastoralisme/nomadisme présuppose, en outre, une conception évolutionniste de la tribu, considérée comme relevant d’un stade particulier de l’évolution humaine, intermédiaire entre la bande stade du paléolithique et la société étatique sédentaire. Selon cette vision, la tribu correspondrait au stade du néolithique et plus largement aux sociétés qui ont une économie essentiellement agricole et pastorale. Cette conception est évidemment fallacieuse car elle ne rend pas compte de la persistance actuelle de liens tribaux, à travers le monde, et dans des sociétés qui ne sont ni nomades ni pastorales. 20En fait, si cette volonté de briser la cohésion tribale fut vraie au Nord, notamment compte tenu de la politique de dépossession foncière, elle ne fut pas généralisée à toute l’Algérie. Dans certains endroits des Hautes Plaines et du Sahara, les tribus et les divisions tribales ont été maintenues, voire exacerbées de manière à permettre à l’administration militaire de mieux contrôler la population locale. C’est le cas pour le Haut Sud-Ouest, mais aussi pour les régions du Sahara, tel le Tidikelt. Louis Voinot, capitaine de l’armée française, nous explique en effet les mesures prises, suite à la Conquête des Oasis » ayant eu lieu au début du xxe siècle, pour établir l’ordre dans cette région. Il est fort explicite à ce propos 29 Louis Voinot, Le Tidikelt étude sur la géographie, l’histoire, les mœurs du Pays, Éditions J. Ga ... Au bout de quelques temps, il faut songer à organiser le Tidikelt pour établir l’ordre à la place de l’anarchie d’antan. Les gens de même origine sont groupés autant que possible en des commandements distincts. Cette répartition est délicate car on doit éviter de mettre en contact des intérêts opposés, ce qui réveillerait les anciennes haines ; les kebars [représentants des tribus] sont choisis parmi les familles influentes29. » 21Cette politique eut des répercussions telles qu’aujourd’hui encore on constate de grands clivages dans la répartition spatiale des tribus du Tidikelt. 30 Robert Capot-Rey indique que le nombre des Européens vivant au Sahara a toujours été faible. Dan ... 31 Fanny Colonna et Henri Tawfik, Au Gourara, une pré-enquête », dans Fanny Colonna, Savants Paysan ... 22La thèse de l’affrontement culturel doit par ailleurs être nuancée en ce qui concerne les tribus évoluant dans les territoires des Hautes Plaines et du Sahara algérien. Les civils français y étaient peu nombreux et de ce fait l’imposition des valeurs et des institutions émanant de l’idéologie coloniale ne s’est pas effectuée avec la même ampleur au Sud que dans le Nord30. Compte tenu des politiques différenciées entre le Nord et le Sud, les populations du Sud ont pu, plus que celles du Nord, s’opposer au phénomène d’acculturation et ainsi refuser certaines valeurs émanant de la France. Un travail effectué dans le courant des années soixante-dix par Fanny Colonna et Henri Tawfik31 a montré quels étaient les comportements, vis-à-vis de l’éducation et de la médecine, des populations des zones rurales du Gourara région saharienne. Ce qui est intéressant pour notre propos, ce sont les deux faits suivants d’une part, cette enquête montre la persistance des valeurs traditionnelles » – plus exactement s’inspirant des coutumes locales – qui nous semblent inséparables d’une organisation sociale du même type ; d’autre part, elle insiste sur l’importance actuelle des lignages mrabtin lignages descendant de saints. 32 C’est notamment le parti que prend Nico Kielstra dans son étude des mutations de l’organisation tr ... 23En somme, l’analyse de la déstructuration tribale repose sur trois axiomes discutables et qui ne peuvent rendre compte de la pluralité des situations concernant le fait tribal en Algérie. La première remarque que l’on fera est toute simple la dépossession foncière si fatale aux tribus du Tell, du Nord, n’a pas été appliqué aux tribus du Sud étant donné l’aridité de la terre et le fait que les territoires du Sud étaient en grande partie sous administration militaire. La deuxième remarque est que le nomadisme pastoral est bien souvent considéré comme la condition sine qua non de l’existence tribale. Bien entendu, il s’agit là d’un stéréotype qui associe la tribu à un mode d’organisation économique et de fait à un stade d’évolution particulier. Ce stéréotype est d’autant plus fâcheux qu’il empêche de rendre compte de la complexité et de la diversité des liens sociaux à l’intérieur des tribus et entre les tribus. Enfin, penser que le discrédit des autorités tribales puisse être une mesure majeure dans le processus de démantèlement tribal présuppose l’idée que les chefs et plus largement les chefferies sont des éléments primordiaux des organisations tribales32. Cet axiome est largement réfutable. Enfin, il faut ajouter que le régime administratif dans les territoires du Sud était bien différent de celui des départements civils du Nord. Organisation des territoires du Sud 33 Les subdivisions des territoires du Sud devinrent néanmoins des départements quelques années plus ... 34 Camille Sabatier, La question du Sud-Ouest, Alger, Éditions Adolphe Jourdan, 1881, p. 67-68. 24Contrairement aux départements civils du Nord, les territoires du Sud qui succédaient aux territoires de commandement demeuraient, du moins jusqu’en 194733, sous administration militaire. Les rapports de l’État colonial avec les tribus n’étaient donc pas les mêmes en Algérie, selon qu’il s’agissait des territoires du Sud ou de ceux du Nord. Dans les territoires du Sud, en dehors des éléments en rébellion, les autorités françaises ne furent pas opposées aux systèmes tribaux, bien au contraire. Elles se souciaient plus des confréries et lignages religieux qui du fait de leur aura et de leurs réseaux auraient pu organiser une résistance plus efficace à l’occupation34. Les zawiyas et confréries sahariennes ont de fait souvent été la hantise des autorités coloniales qui essayèrent de les supprimer ou tout au moins les contrôler, alors que la dislocation de la tribu ne fut pas une politique voulue pour les territoires du Sud. Les territoires du Sud étaient par ailleurs soumis à une organisation et une législation bien distincte de celles des départements civils du Nord. 35 Note du 3 avril 1922 Archives affaires indigènes militaires, repris de René-Victor Vâlet, Le Sah ... Entre l’Algérie du Nord dont l’organisation est coulée dans le moule français et les protectorats voisins de Tunisie et du Maroc où l’administration française se double d’une administration indigène, les Territoires du Sud présentent une troisième forme qui leur est propre. Leurs bureaux d’affaires indigènes, composés d’un personnel militaire spécialisé et hiérarchisé dans ses fonctions, occupent une place intermédiaire entre le régime d’administration directe à la mode métropolitaine et le régime de contrôle qui caractérise les protectorats ; ils ne s’affranchissent pas du cadre social indigène, usent d’avantage de l’autorité traditionnelle du chef de tribu, et de la sorte, permettent à des populations à mentalité féodale d’évoluer sans heurt au contact de la civilisation moderne35. » 36 Ibid., p. 84. 37 Ibid., p. 86. 38 Ibid., p. 98-99. 39 Ibid., p. 131-132. 40 Ibid., p. 182 et suiv. 41 Il s’agit du recours d’un indigène s’estimant lésé à un officier qu’il considère comme son chef. C ... 42 Ibid., p. 211-212. 43 Jacques Frémeaux, Pertinence… », p. 261-262. 25Le rôle des militaires y était beaucoup plus important que dans le Nord et le statut des indigènes bien distinct également. Les maires des communes mixtes étaient les commandants des cercles ou les chefs des annexes36. Les commissions municipales se composaient de membres français élus et de membres indigènes nommés. Le décret du 6 février 1919 n’était pas applicable aux territoires du Sud et les indigènes musulmans ne pouvaient être électeurs, ni éligibles, contrairement à ce qui se faisait dans le Nord37. Cette situation semble s’être perpétuée au moins jusqu’en 1947. La tribu avait une existence juridique. Elle constituait une section de commune. Les membres des assemblées tribales, des djemaa – jamaca appelés kbars, les grands étaient nommés pour une période de trois ans par les commandants des cercles ou les chefs des annexes, puis par le gouverneur sur avis des commandants et des chefs. Ces procédés, toujours en vigueur dans les territoires du Sud, n’étaient plus appliqués au Nord depuis le décret du 6 février 1919. Les djemaa étaient par ailleurs présidés de droit par les caïds des tribus, nommés par les autorités, et administraient essentiellement les biens des douars et les terres collectives38. Le système d’imposition était aussi différent. Alors que les impôts arabes avaient été supprimés dans le Nord par le décret du 1er décembre 1918, ils demeuraient encore appliqués dans les territoires du Sud où ils constituaient la source la plus considérable du budget39. Le système judiciaire, et en particulier la justice répressive, étaient aussi distincts dans les territoires du Sud. Les commandants militaires et le gouverneur d’Algérie avaient en effet des pouvoirs plus importants que dans les départements civils40. Le système de la chekaïa demeurait encore appliqué41, augmentant ainsi le pouvoir des commandants de cercle ou des chefs d’annexe qui, bien qu’arbitres, pouvaient toutefois user de leurs pouvoirs disciplinaires42. Le système des bureaux arabes appliqué pour le Nord dans les premiers temps de la conquête, puis abandonné pour une organisation civile, était de fait appliqué pour les territoires du Sud. Cette organisation supposait la préservation du cadre social indigène, et donc tribal, et la nomination, l’appui et l’instrumentalisation de l’autorité traditionnelle des chefs de tribus. De fait, comme le remarque Jacques Frémeaux43, les territoires militaires du Sud apparaissaient dans les années trente comme le conservatoire des populations bédouines, partiellement administrées par les derniers bureaux arabes. 44 Colette Establet se posait ainsi la question de la réification tribale Faut-il se fier à la ré ... 26On voit donc bien que la thèse du démantèlement tribal durant la période coloniale doit être nuancée. Ce qui est vrai pour les ex-départements civils du Nord doit être revisité à l’aune de l’histoire des territoires du Sud algérien, laquelle reste largement à écrire. L’analyse des mesures prises par les autorités coloniales dans ces régions contribuerait à expliquer en partie pourquoi les identités tribales y sont encore assez vivaces, comme on le montrera à partir du traitement de la question tribale dans le Haut Sud-Ouest algérien. En effet, les tribus du Haut Sud-Ouest, et probablement de l’ensemble des territoires du Sud, ont été préservées de toute destruction volontaire, mais elles ont été en même temps remaniées pour diverses raisons, notamment administratives. Plus encore, on remarquera par la suite que les tribus des cAmûr et des Awlâd Sid Ahmad Majdûb ont été réifiées par les mesures prises durant la période coloniale44. Dire cela ne nous permet pas de conclure à la mort de la tribu, mais simplement que la tribu dans le Haut Sud-Ouest est une réalité sociale largement redéfinie par l’État colonial. Ces tribus remaniées n’avaient certes plus la même dimension ni la même modalité d’organisation qu’avant la colonisation. Mais ces tribus, juste avant la colonisation, n’étaient pas non plus celles du xvie, xviie ou xviiie siècle, de sorte qu’il est exagéré d’avancer que les modifications amenées par l’entreprise coloniale auraient été fatales aux tribus. Plus que de détruire les tribus, les autorités des territoires du Sud se sont évertuées à les préserver tout en les contrôlant par le biais des caïds et des bachagas. Les tribus du Haut Sud-Ouest avant la création du cercle d’Ain Sefra Les cAmûr 27À la veille de la colonisation, les cAmûr, ainsi que les Awlâd Sid Ahmad Majdûb vivaient essentiellement sous la tente. Certaines familles disposaient de jardins et de palmiers dans les ksour qsûr de la région, en particulier celui d’Asla pour les Awlâd Sid Ahmad Majdûb, et ceux de Sfissifa, Tiout, Moghrar, Ich et Figuig pour les cAmûr les deux derniers ksour se trouvent sur l’actuel territoire marocain. 28Contrairement aux Awlâd Sid Ahmad Majdûb, l’évolution de la confédération des cAmûr fut en partie liée à la question de leur statut et des tumultes liés au tracé de la frontière algéro-marocaine au sud du Taniet Sassi. Devaient-ils être en effet des sujets de la France ou de la monarchie marocaine ? Cette question ne fut résolue que tardivement. Le traité de 1845 définissait le partage des territoires français et marocains au nord du Taniet Sassi, mais omettait de définir clairement le statut des territoires au Sud de ce point. C’est en profitant de cette imprécision que la France établira sa politique de conquête des territoires du Sud. En 1847, une colonne française, sous la conduite du général Cavaignac, prit ainsi possession des ksour déclarés français. 45 N. Lacroix et H. M. P. de La Martinière, Documents pour servir à l’étude du Nord Ouest africain, t ... 46 D’après les notes sur la tribu des Amour du commandant Colonieu, datées de 1859, dans un document ... 29Le principe des ksour relevant des autorités françaises étant acquis, celles-ci se trouvaient confrontées à la question du statut des cAmûr qui nomadisaient dans la région des monts des Ksour. Le traité de 1845 ne stipulait rien de précis à ce propos. En 1855, la majorité des tribus composant les cAmûr avait fait acte de soumission à la France et les autorités françaises leur donnèrent une organisation régulière en trois caïdats45. Ceux-ci comptaient en 1859 environ 520 tentes voir tableau 146. Tableau 1. Nombre de tentes des cAmûr en 1859. Les Awlâd Sid Ahmad Majdûb 47 Les Awlâd Sidi Shaykh étaient divisés en deux ligues opposées çoffs ou leffs les Awlâd Sidi Sh ... 30Au mois d’avril 1847, lorsque les Awlâd Sidi Shaykh firent leur soumission à la France, les Awlâd Sid Ahmad Majdûb passèrent en entier sous les ordres de Si Hamza, qui dirigeait à cette époque la tribu des Awlâd Sidi Shaykh. Jusqu’en 1848, ils paient leurs impôts avec la branche aînée, campent avec elle et, avec elle aussi, s’approvisionnent dans le Tell. En 1849, les Awlâd Sid Ahmad Majdûb abandonnèrent Si Hamza chef des Awlâd Sidi Shaykh Charraga et se rallièrent à Sidi Shaykh Ban Tayab chef des Awlâd Sidi Shaykh Gharaba47 qui refusait l’occupation française. 48 Territoire sous gestion d’un bachaga. 31En 1863, le soulèvement des Awlâd Sidi Shaykh provoque l’arrêt de l’expansion militaire française dans le Sud oranais. Les Awlâd Sid Ahmad Majdûb, ayant participé aux soulèvements des Awlâd Sidi Shaykh et après avoir obtenu le pardon l’aman, furent placés dans le cercle de Sebdou, où ils restèrent jusqu’en 1878. Ils furent détachés du cercle de Sebdou parce qu’ils avaient leurs intérêts du côté d’Asla, de Chellala et de Bousemghoun, et par décision du 4 novembre 1878, ils furent rattachés au cercle de Geryville actuel El Bayadh. Les Awlâd Sid Ahmad Majdûb formèrent alors un caïdat indépendant et bien que de même origine que les Awlâd Sidi Shaykh, ils restèrent en dehors du bachagalik48 de ces derniers. La tribu comprenait à cette époque six douars, selon les autorités coloniales. 49 Ross E. Dunn, Resistance in the Desert, Moroccan Responses to French Imperialism 1881-1912, New Yo ... 50 Comme nous l’avons indiqué plus haut, le soulèvement des Awlâd Sidi Shaykh provoque l’arrêt de l ... 32En 1881, de nombreux Awlâd Sid Ahmad Majdûb et cAmûr participèrent à l’insurrection menée par Sidi Abû cAmama, marabout originaire des Awlâd Sidi Tadj. Celle-ci s’inscrit dans la continuité des actes de rébellion menés par les Awlâd Sidi Shaykh. Ces insurrections résultèrent en grande partie de la situation liée à la crise foncière en particulier à propos des terrains de parcours générée par la politique de dépossession des terres tribales. Les tribus des plaines du Nord, disloquées et privées de leurs terres, furent en effet forcées de migrer vers les terres des autres tribus, plus au Sud, provoquant ainsi une grave crise qui suscita ces actes continus de rébellion49. En 1881, suite à l’insurrection menée par Sidi Abû cAmama, les autorités françaises décidèrent d’occuper Ain Sefra et d’y créer un poste militaire50. La création du cercle d’Ain Sefra 51 Anonymes et Schmidt, Histoire du cercle d’Ain Sefra », document remis par le père Communardi d’A ... 33Le 20 mars 1882, date de la création par arrêté gouvernemental du cercle d’Ain Sefra, les cAmûr se voient appliquer une nouvelle organisation. Les événements insurrectionnels de 1881 avaient poussé les autorités françaises à occuper d’une façon permanente la région des ksour et, par la suite, elles donnèrent à cette confédération une organisation régulière en trois tribus Awlâd Salim, Awlâd Bûbkar et Swala. Celle-ci fut modifiée une première fois en 1885, un an après le départ des Lamdabih au Maroc. Les Awlâd Bûbkar furent partagés en deux caïdats Awlâd cAbdallah et Awlâd Gtayb. Puis en 1889, on procéda à la réorganisation des tribus des Awlâd Salim fractions des Mrinat et des Awlâd Shahmi et des Swala fractions des Awlâd cAmr et des Awlâd Sliman. En 1898, on organisa les cAmûr en quatre caïdats Awlâd Bûbkar, Swala, Awlâd Shahmi et Mrinat. Les Shwarâb formèrent une fraction rattachée pour le commandement à la tribu de Moghrar Fougani, laquelle comprenait en fait les habitants du ksar qsar de Moghrar Fougani et les éléments restants de la tribu des Awlâd Sidi Tadj une grande partie s’était enfuie au Maroc51. 52 Documents microfilmés des archives d’Outre-Mer, référence 66miom/108/2. 34Malgré l’occupation d’Ain Sefra et la création du cercle portant le même nom, la question du statut des cAmûr demeure non réglée. Fin mars 1887, le gouvernement chérifien demande aux autorités françaises qu’elles facilitent le retour au Maroc d’un millier de tentes des cAmûr », installées dans la subdivision de Mascara division militaire à laquelle est attachée le Haut Sud-Ouest52. Dans une correspondance adressée au général commandant la subdivision de Mascara datée du 1er avril 1887, le lieutenant-colonel Marmet, commandant supérieur du cercle d’Ain Sefra, indique que 53 Correspondance n° 177, du 11 avril 1887, documents microfilmés des archives d’Outre-Mer, référence ... Les tribus des Amour du cercle d’Ain Sefra ne comprennent en totalité que 683 tentes. Par suite, mille chefs de tente n’ont donc pu demander à aller se fixer au Maroc. J’ajoute même que pas un seul chef de tente n’a fait une semblable demande. [Se référant aux analyses du commandant Rinn concernant le statut des cAmur, il avança qu’il existe] des Amour algérien, de même qu’il y a des Amour marocains. Ces derniers […] sont les Medabiah environ 70 tentes qui sont toujours campés avec les Beni Guill. […] il y a une petite fraction marocaine des Oulad Abdallah une quarantaines de tentes53. » 54 Ibid. 55 Correspondance n°4419, du 7 août 1888, du gouverneur général de l’Algérie à Monsieur le général co ... 35Ce dilemme concernant le statut des cAmur poussera certains d’entre eux à trouver refuge dans le massif frontalier de Beni Smir. En 1888, il est question d’exécuter un coup de main » dans cette région pour punir et ramener les tentes des cAmur refusant l’autorité française. Ce coup de main » est arrêté en raison des problèmes qu’il aurait pu occasionner avec le Maroc. À la même époque un dignitaire marocain, cÛmar Sûsi, arrive à Figuig et essaie de regagner les cAmur en tant que sujets marocains54. Ces derniersse trouvent donc pris entre la France et le Maroc qui les revendiquent en tant que sujets. Le 7 août 1888, le gouverneur général d’Algérie, suite à la décision du conseil du gouvernement, stipulera que les cAmur du cercle d’Ain Sefra devront être traités comme des sujets algériens55. 56 Une partie importante du cheptel périra lors de ce déplacement qui dura plusieurs mois. Sur cette ... 36Refusant l’occupation française, de nombreuses tentes s’enfuirent encore au Maroc. Pour contrer ce phénomène de fuites vers le Maroc, les autorités françaises décideront l’augmentation de la cavalerie et des spahis dans le cercle d’Ain Sefra, mais aussi feront migrer un grand nombre de tentes 343 des cAmur vers l’Est, à destination de l’annexe d’Aflou. Cette migration et le cantonnement des cAmur dans l’annexe d’Aflou débuteront en septembre 188856. La décision des autorités françaises précipitera au contraire la fuite de certaines tentes des cAmur restées dans le cercle d’Ain Sefra, vers l’Ouest, vers le Maroc, de peur de l’internement dans l’annexe d’Aflou. Du fait du cantonnement dans l’annexe d’Aflou et des fuites vers le Maroc, en novembre 1888, sur 697 tentes appartenant aux cAmur, seulement 95 se trouveront effectivement dans l’annexe d’Ain Sefra. La majorité des tentes se trouvera dans l’annexe d’Aflou 346, puis au Maroc 251 cf. tableau 2. 57 État joint à la correspondance du général de brigade, commandant de la subdivision de Mascara O’N ... Tableau 2. Novembre 1888, état des tentes des cAmûr57 Tribus À Aflou Au Maroc À Ain Sefra Territoire algérien autre qu’Ain Sefra et Aflou Total Souala 114 64 16 0 194 Ouled Selim 96 130 48 3 277 Ouled Gottib 88 11 19 2 120 Ouled Abdallah 48 46 12 0 106 Total 346 251 95 5 697 58 Correspondances dans les documents microfilmés des archives d’Outre-Mer, référence 66miom/109/3. 37À partir de 1892, les cAmur cantonnés à l’Est rentreront progressivement dans le cercle d’Ain Sefra58. En 1894, la subdivision militaire d’Ain Sefra est créée. 59 Correspondances dans les documents microfilmés des archives d’Outre-Mer, référence 66miom/109/4. 38Dans une correspondance datée du 5 avril 1898 et adressée à Monsieur le général commandant la division d’Oran, le général Gaillard de Saint-Germain, commandant la subdivision d’Ain Sefra, proposera une nouvelle organisation du cercle d’Ain Sefra, du fait des fuites et retours des tentes59. Il indique qu’en 1898, les cAmûr forment 6 tribus Awlâd Sliman, Awlâd cAmr, Awlâd Shahmi, Awlâd cAbdallah, Awlâd Gtayb et Mrinat. Il demande de les réduire à quatre, qui prendraient les dénominations de Swala, Awlâd Bûbkar, Awlâd Salim et Mrinat. Il les présente ainsi 1. Tribu des Souala environ 150 tentes. Elle comprendrait les tribus actuelles des Oulad Sliman et des Oulad Ameur, auxquelles on ajouterait les Oulad Alyat récemment rentrés de l’Ouest et placés sous le commandement du caid de Tyout […]. 2. Tribu des Oulad Boubekeur environ 80 tentes. Elle comprendrait les deux tribus actuelles des Oulad Abdallah et des Oulad Gottib auxquelles on joindrait les Medabiah nouvellement rentrés et actuellement placés sous les ordres du caïd du Ksar de Sfissifa […]. 3. Tribu des Oulad Selim. Elle comprendrait la tribu actuelle des Oulad Chahmi à laquelle on joindrait la tribu actuelle des Oulad Bou Chareb […]. 4. Les Merinat environ 100 tentes continueraient à former à eux seuls une tribu unique ». 60 Correspondance du gouverneur général d’Algérie à Monsieur le général commandant la division d’Oran ... 39Il indique par ailleurs que, mise à part la tribu des Mrinat, qui compte une centaine de tentes et à laquelle, pour cette raison, il ne touchera pas, les autres tribus du cercle d’Ain Sefra en comprennent entre 15 à 50 et qu’elles formeraient en d’autres régions de simples douars. Il estime aussi que le groupement des cAmûr en un nombre restreint de caïdats a été, de 1884 à 1888, l’une des causes du départ en dissidence de la plus grande partie de ces indigènes ». Par la suite, dans sa correspondance du 21 octobre 1898, le général Gaillard de Saint-Germain inclura les Mrinat dans la tribu des Awlâd Salim, soit 3 tribus Swala, Awlâd Salim, Awlâd Bûbkar. Le 6 septembre 1898, le gouverneur général d’Algérie accepte la nouvelle organisation à donner aux cAmûr et propose de nommer Si Moulay Ben Miloud, un des marabouts de Tiout, au titre de caïd des caïds60. 40En fait, avec cette nouvelle organisation, on en revient à la première, celle de 1855 laquelle s’appuyait sur la réalité locale, directement observable, c’est-à-dire en trois tribus Swala, Awlâd Salim et Awlâd Bûbkar. Toutefois celles-ci ne sont plus composées de la même manière. Les Lamdabih par exemple ont migré en masse au Maroc et, de fait, la tribu des Awlâd Bûbkar ne comprend plus cette fraction. Par ailleurs, ce nouvel agencement des tribus n’arrêta ni les fuites, ni les résistances à l’occupation. La création du territoire militaire d’Ain Sefra et l’organisation des tribus 61 Capitaine Mesnier, Monographie… 62 En 1885, l’annexe créée à Mecheria dépendait du cercle d’Ain Sefra mais au moment de la réorganisa ... 63 Il s’agit de l’actuelle El Bayadh. 64 Il s’agit de l’actuelle Bechar. 65 René-Victor Vâlet indique concernant les territoires du Sud que les communes mixtes ne diffèrent ... 66 Les titres de bachaga et d’agha étaient repris de l’administration ottomane. Ils désignaient les g ... 67 Capitaine Mesnier, Monographie…, p. 75. 41En 1905, le territoire militaire d’Ain Sefra fut créé. Ce territoire qui remplaça la subdivision décret du 12 décembre 1905 était placé sous l’autorité d’un général de brigade qui dépendait directement, au point de vue administratif, du gouverneur général de l’Algérie et, au point de vue militaire du général commandant le 19e corps d’armée61. Il était divisé en trois cercles Mecheria62, Geryville63 et Colomb et deux annexes Ain Sefra et Beni Ounif et comprenait trois communes mixtes Ain Sefra, Mecheria, Geryville et deux communes indigènes Colomb64 et Timimoun65. Les communes mixtes étaient administrées par une commission municipale composée du commandant supérieur du cercle ou du chef de l’annexe il en était le président, du chef du bureau des Affaires indigènes ou de l’officier du bureau venant immédiatement après lui il en était l’adjoint, d’un adjoint spécial français, des conseillers municipaux élus, des caïds. Le bachaga de Geryville et l’agha des cAmûr et des Ksour faisaient partie de la commission qui siégeait à Geryville et Ain Sefra66. La commune mixte d’Ain Sefra fut créée par arrêté du 4 juin 1885. Elle était composée au début de deux sections celle d’Ain Sefra et celle de Mecheria. Plus tard la section de Mecheria fut rattachée au cercle de même nom. En 1904, Ain Sefra à elle seule devint commune mixte. En 1914, elle comprenait deux sections le centre d’Ain Sefra, avec les tribus des cAmûr et les Ksour de la région 1ère section et le centre de population de Beni Ounif et l’annexe du même nom 2e section67. 68 La section de commune normale » n’a pas de représentation spéciale. René-Victor Vâlet, Le Sahara ... 42L’annexe d’Ain Sefra comprend par ailleurs un maghzen soldé avec un chef de maghzen et quatre-vingt-quatre cavaliers, cinq tribus nomades, six ksour et le douar maghzen. Chaque tribu nomade et chaque ksar est commandé par un caïd qui est assisté d’une assemblée djemaa ou jamaca composée de notables tribaux. La tribu a bel et bien, comme dans l’ensemble des territoires du Sud, une existence institutionnelle et juridique. Elle constitue en fait une section de commune privilégiée, possédant un conseil permanent, la jamaca, chargée d’administrer ses biens et de défendre ses intérêts68. 69 Anonymes et Schmidt, Histoire... », p. 4. 70 Il y eut de nombreux abus de la part des administrateurs dans l’attribution des noms, en témoignen ... 43Les caïds des tribus ou ksour de l’annexe sont placés sous l’autorité de l’agha des cAmûr et des ksour d’Ain Sefra, Si Moulay Ould Si Mohammed ben Miloud Si Mûlay Awlâd Si Muhammad ban Milûd. Celui-ci, investi des fonctions de caïd des caïds le 27 septembre 1898, fut nommé agha le 3 février 190069. En 1934, la tribu des Swala est rattachée au ksar de Tiout, celle des Awlâd Bûbkar au ksar de Sfissifa. À cette même époque, le régime de l’État civil est mis en place. On donne aux membres des tribus des noms patronymiques et dans les registres est indiquée, outre les caractéristiques personnelles nom, prénom, date de naissance…, l’appartenance tribale70. Alors qu’ailleurs les états civils contribuent à définir et à rendre tangibles les identités et appartenances nationales, dans les territoires du Sud, elles participent à préserver ou à fabriquer des identités et des clivages tribaux et/ou ethniques entre nomades arabes et gens des qsûr berbères. 71 Ces fractions firent valoir que tous leurs intérêts étaient du côté de l’annexe d’Ain Sefra dont ... 72 Territoire sous gestion d’un agha. 73 Anonymes et Schmidt, Histoire... », p. 27-28. 44Parallèlement, suite à la demande des membres de deux fractions des Awlâd Sid Ahmad Majdûb, les Awlâd Sidi Muhammad et les Awlâd Sidi Abû al Anwar, le gouverneur général d’Algérie prononce, le 5 mai 1904, leur mutation dans l’annexe d’Ain Sefra71, en spécifiant que cette nouvelle tribu sera indépendante de l’agha des cAmûr et des ksour, comme les Awlâd Sid Ahmad Majdûb sont indépendants du bachaga des Awlâd Sidi Shaykh. Par la suite, le 1er septembre 1904, le gouverneur général d’Algérie prononce le rattachement de la tribu nouvellement formée des Awlâd Sidi Muhammad et Awlâd Sidi Abû al Anwar à l’aghalik72 des cAmûr. En 1910, la question de la fusion des Awlâd Sidi Muhammad et Awlâd Sidi Abû al Anwar dépendants d’Ain Sefra et des Awlâd Sid Ahmad Majdûb dépendants de Geryville est étudiée. Par décision du 10 décembre 1914, le gouverneur général d’Algérie décide la fusion des Awlâd Sidi Muhammad et Awlâd Sidi Abû al Anwar avec les Awlâd Sid Ahmad Majdûb. Cette nouvelle tribu dénommée Awlâd Sid Ahmad Majdûb et Abû al Anwar, puis simplement Awlâd Sid Ahmad Majdûb est rattachée à l’annexe d’Ain Sefra. En 1934, on fusionne le ksar d’Asla à la tribu des Awlâd Sid Ahmad Majdûb pour n’en former qu’une seule, appelée tribu des Awlâd Sid Ahmad Majdûb et Asla, avec un seul caïd Si Muhammad Mûstafa ban Si Mûlay, d’origine shûrfa73. Conclusions 45Les réorganisations de la confédération des cAmûr et de la tribu des Awlâd Sid Ahmad Majdûb donnèrent un caractère plus formel aux tribus, avec une organisation bien précise, faisant d’elles, en définitive, des entités encore plus cohérentes. La volonté des autorités françaises était de garder cette organisation en tribus, qui leur semblait plus contrôlable. L’exemple de la tribu de Moghrar Fougani l’atteste. Alors qu’une grande partie des Awlâd Sidi Tadj avait fui au Maroc, les autorités essayèrent de constituer de toute pièce une tribu en organisant sous le même caïdat les quelques Awlâd Sidi Tadj restants, les habitants du ksar de Moghrar Fougani et la fraction des Shwarab qui nomadisait aux environs. 74 Isabelle Eberhardt raconte que certains des membres de cette tribu se retrouvèrent rattachés au ca ... 46S’il y a eu des modifications durant cette période, celles-ci ne remettent donc pas en cause la tribu en tant que système spécifique d’organisation sociale. Certaines tribus se retrouvent, certes amoindries, sur le territoire du Haut Sud-Ouest parce que beaucoup de leurs membres sont morts au combat ou ont fui au Maroc. C’est notamment le cas de la tribu des Awlâd Sidi Tadj74, à laquelle appartenait Sidi Abû cAmama. Mais l’organisation en tribus n’est pas fondamentalement remise en cause. Par ailleurs, les rapports entre les tribus et la population française demeurent assez faibles en dehors des centres urbains de Mecheria et d’Ain Sefra. 47Moins en contact avec la population française, les membres des cAmûr et plus encore des Awlâd Sid Ahmad Majdûb, plus éloignés du centre de commandement d’Ain Sefra, inquiètent cependant toujours les autorités parce que, du fait même de leur mode de vie nomade, ils apparaissent comme moins contrôlables et en cas de rébellion, ils ont un avantage non négligeable ils connaissent mieux que quiconque le territoire du Haut Sud-Ouest. Le rattachement des tribus aux ksour fut donc une mesure pour tenter de contrôler les tribus nomades de la région. Elle eut pour conséquence d’exacerber les antagonismes entre les tribus nomades d’ascendance arabe » et les habitants des ksour d’ascendance berbère ». 48Dans le Haut Sud-Ouest, les autorités françaises tentèrent ainsi de maîtriser les tribus notamment en nommant leurs caïds et en contrôlant les déplacements des éléments nomades. Cette dernière mission incombait en partie au makhzen, un bataillon formé d’indigènes payés par les autorités françaises et supervisés par l’armée. 75 Cette politique du contrôle militaire des tribus et de la nomination de caïds des caïds, de grands ... 76 Nous devons ces informations à Hadj Sassi. Il est l’une des rares personnes, encore vivante, à avo ... 49Outre ce fait, la mise en place d’un caïd des caïds septembre 1898, le bachagha Si Moulay, atteste de la volonté des autorités françaises de préserver un ordre politique de type traditionnel et d’organiser les tribus selon les coutumes locales75. La désignation de Si Moulay à ce poste n’est pas fortuite. Celui-ci est en effet reconnu comme descendant d’un des marabouts les plus influents et les plus renommés de l’Ouest algérien, le sharif Sid Ahmad Ban Yûsaf de Miliana. L’autorité de Si Moulay, en tant que sharif du fait de cette ascendance supposée, est donc largement acceptée par les tribus de la région. Il eut pour adjoint son fils, Si Khaladi. Ce dernier faisait partie des nouvelles générations, celles formées par l’école française. Il aurait aboli, dans la région d’Ain Sefra, les corvées qui consistaient à nourrir de force les sections de militaires spahis en patrouille, aux frais des populations déjà misérables. Il tenta en outre d’abolir les amendes collectives des tribus76. Suite au décès de son père, Si Khaladi fut nommé chef indigène, bachagha, de 1932 à 1956. 50Lorsque les autorités nommèrent Si Khaladi, suite au décès de Si Moulay, elles ne firent que perpétuer un principe important dans le monde tribal, celui de la filiation ou plus exactement de l’unifiliation. La désignation de Si Khaladi à la succession de Si Moulay était donc normale compte tenu du contexte tribal. Selon le principe de l’unifiliation, les droits et devoirs attribués à son père lui incombaient naturellement ». En outre, chaque tribu payait collectivement les amendes imposées par les autorités françaises suite aux infractions de l’un ou de plusieurs de ses membres. La pratique de l’amende collective illustre le fait que les autorités reconnaissaient en fait la responsabilité de la tribu, du groupe, sur ses éléments. En cela, elles ne firent encore qu’appliquer un autre principe important du monde tribal celui de la solidarité intratribale. Elles estimaient que les membres des tribus formaient, autre caractéristique essentielle de la tribu, des corporate groups, des groupes faisant corps », et se devaient donc d’être solidaires et responsables collectivement. AbstractInventaire d'une série d'archives Série H H. La série H H contient les régistres des services de correspondance du Service central des Affaires musulmanes. On peut y saisir le cheminement de la politique, - des politiques 'arabes'-, de la France en Algérie, pour les années 1850-1850 environ. Index. Scope and content Disparitions, libérations des centres, enlèvements, mesures de clémence. Ralliement sur le statut des dans la zone d’influence du colonel Si Chérif. Records creator's history La fonction de gouverneur général est créée en 1834 par un arrêté du 1er septembre. Ses attributions à la fois militaires commandement de l’Armée et civiles intendance, comme son pouvoir réel, fluctuent au gré des périodes. Depuis 1947, le gouverneur général exerce également un pouvoir réglementaire. A partir de 1956, ses pouvoirs sont confiés à un ministre résidant à Alger, puis à compter de juin 1958 à un délégué général du gouvernement qui commande les forces armées en Algérie. Le 19 décembre 1958, Paul Delouvrier est nommé délégué général du gouvernement en Algérie par le général de Gaulle. Chargé de la pacification » et de la mise en application du plan dit de Constantine », il reste en fonction jusqu’au 24 novembre 1960. Archival history Source of acquisition Transfert en 1961 par le service des archives de la Délégation générale en Algérie. Conditions governing access Vous pouvez consulter librement ces documents.. Conditions governing reproduction Vous pouvez reproduire librement ces documents. Other finding aids DION, Isabelle, HICK, Daniel, Fonds du cabinet du gouverneur général de l’Algérie puis délégué du gouvernement en Algérie, Bordereau, Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer, 1933-1994. Related material Physical description 0,10 mètre linéaire Keywords Subjectsguerre d’Algérie 1954-1962 disparu de la guerre d'Algérie Records creator Gouvernement général de l’Algérie, Cabinets civils des gouverneurs Content provider Archives nationales d'outre-mer

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